Le modèle de relapse prevention (prévention de la rechute), originellement développé dans le champ des conduites addictives (Marlatt & Gordon), a été adapté dès les années 1980 pour comprendre et traiter la récidive chez les agresseurs sexuels.
Dans les années 1980, la prise en charge des délinquants sexuels était encore largement dominée par des approches psychanalytiques ou purement punitives. L’arrivée du Relapse Prevention Model (RPM) adapté par William D. Pithers (et Janice Marques) a constitué une révolution cognitivo-comportementale. Inspiré du modèle de rechute addictologique, le RPM postule que l’offense sexuelle suit un processus séquentiel relativement stéréotypé :
- Situation à haut risque → 2 Désir déviant → 3 Décisions apparemment sans importance → 4 Situation à haut risque → 5 Absence ou échec de coping → 6 Ecart→ 7 Effet de violation de l’abstinence + Problem of Immediate Gratification → 8 Rechute complète.
L’intervention consiste à cartographier le cycle personnel de chaque délinquant, à enseigner des compétences d’adaptation (assertivité, gestion émotionnelle, résolution de problèmes), à anticiper les situations à haut risque et à mettre en place un contrat de maintien des comportements exempts de crimes, avec supervision externe (agents de probation formés). Les programmes pionniers du Vermont (Pithers) et de la Californie (Marques et al.) ont démontré des réductions de récidive prometteuses, quoique modestes (Marques et al., 2005).
Le cœur du modèle de Pithers : mécanismes et objectifs
Pithers (et collaborateurs) conçoivent la récidive sexuelle comme un processus dynamique — comparable, sur certains points, au « cheminement » de la rechute dans les addictions — où se combinent facteurs cognitifs, affectifs, situationnels et comportementaux. Les éléments centraux sont, schématiquement :
- l’identification des situations à haut risque (p. ex. isolement, accès à des victimes, intoxication) ;
- la mise en évidence des déclencheurs internes (fantasmes déviants, émotions négatives, impulsivité) ;
- l’analyse de l’« Abstinence Violation Effect » (AVE) — rupture perçue comme temporaire ou définitive pouvant mener à une désinhibition complète ;
- le développement de stratégies de coping et d’auto-contrôle : plans d’évitement, techniques de dispersion cognitive, renforcement des compétences sociales et d’empathie, et élaboration de contrats de surveillance et de supervision externe.
L’objectif clinique est double : (1) réduire la probabilité d’exposition aux situations à risque, (2) accroître les ressources internes et externes permettant de gérer les situations critiques sans passage à l’acte (plans écrits, surveillance, ressources sociales). Pithers insiste par ailleurs sur la nécessité d’une supervision externe (contrats, surveillance professionnelle) pour maintenir le gain thérapeutique.
Prolongements contemporains
Des études empiriques (notamment Hanson & Morton-Bourgon, 2005) ont révélé une efficacité modérée du RPM seul ; le modèle sous-estimait la diversité motivationnelle des agresseurs (certains désirent activement agresser) et reposait trop sur une analogie addictionnelle contestée.
Modèle d’auto-régulation (Self-Regulation Model of the Offense Process, SRM) de Ward et Hudson
Ward et Hudson (1998, 2000) ont proposé neuf phases offensantes et quatre voies distinctes :
| Voie | But principal | Stratégie de régulation | État émotionnel typique | Exemple de population |
|---|---|---|---|---|
| Avoidant-Passive | Éviter l’agression | Sous-régulation (passivité) | Affect négatif | Nombreux pédophiles extra-familiaux |
| Avoidant-Active | Éviter l’agression | Sur-régulation (stratégies inadéquates) | Anxiété élevée | Certains agresseurs avec TOCS |
| Approach-Automatic | Atteindre l’agression | Sous-régulation (impulsivité) | Affect positif ou neutre | Agresseurs opportunistes |
| Approach-Explicit | Atteindre l’agression | Régulation adéquate mais buts déviants | Affect positif marqué | Agresseurs sadiques ou calculateurs |
Ce modèle est aujourd’hui la référence théorique dominante dans la majorité des programmes modernes.
Jean Proulx et son équipe (Université de Montréal – Institut Philippe-Pinel) ont fourni une validation empirique massive du SRM à travers des études comparatives sur des centaines d’agresseurs incarcérés. Parmi les résultats clés :
- Les violeurs de femmes suivent plus souvent la voie Approach-Explicit (planification, affect positif) ;
- Les pédophiles extra-familiaux privilégient la voie Avoidant-Passive (passivité, affect négatif chronique) ;
- Les agresseurs incestueux présentent un mélange Avoidant-Passive et Approach-Automatic ;
- Les homicideurs sexuels sadiques sont majoritairement Approach-Explicit avec régulation efficace mais déviants.
Ces travaux (Proulx et al., 2008, 2014 ; Beauregard & Proulx) ont montré que la correspondance entre voie et intervention réduit significativement la récidive.
Jean Proulx: vers une intégration plus dynamique
Les travaux contemporains ont cherché à relier le cadre de prévention de la rechute à des modèles plus dynamiques et criminologiques du passage à l’acte. Jean Proulx a largement contribué à cette mise en perspective : il a notamment réexaminé le modèle de Pithers, proposé des articulations avec l’étude des modus operandi et des trajectoires d’agression, et travaillé sur la manière dont l’évaluation du risque peut guider des interventions de prévention de la récidive. Proulx a aussi co-édité et participé à des ouvrages synthétiques qui mettent en regard evidence-based practices, modèles de l’offense chain et implications thérapeutiques.
Concrètement, les prolongements proulxiens (et plus largement nord-américains/québécois) vont dans plusieurs directions :
- Combiner RP et modèles de pathways / offense chains : description fine des enchaînements cognitifs, affectifs et situationnels conduisant au passage à l’acte (permettre des interventions ciblées à chaque maillon).
- Adapter la prévention de la rechute à la typologie de l’auteur : stratégies différentes selon qu’il s’agit d’un voyeur, d’un agresseur opportuniste, ou d’un auteur à composante sadique.
- Intégrer l’évaluation du risque dynamique (surveillance en temps réel, indicateurs de tension/activation) pour orienter les mesures de gestion (ex. supervision, limitations d’accès).
- Prendre en compte les effets sur les thérapeutes et les équipes (burnout, réactions face à la récidive en cours de traitement) — un thème récemment étudié par Proulx et collègues.
Où en est la recherche aujourd’hui ?
La littérature récente conserve la place centrale des interventions CBT intégrant des éléments de prévention de la rechute, mais elle met l’accent sur : (a) l’importance d’une méthode multimodale (évaluation structurée du risque + prise en charge cognitive/behaviorale + supervision externe), (b) la nécessité d’adapter les techniques aux profils criminologiques, et (c) l’évaluation rigoureuse (essais contrôlés, méta-analyses) des effets sur la récidive à long terme. Des revues et méta-analyses récentes insistent sur des gains modestes mais significatifs pour certains programmes structurés de CBT / RP, tout en rappelant la variabilité selon contexte et qualité de mise en œuvre.
Modèles
| Critère | Modèle de Pithers (RPM classique) | Modèle d’auto-régulation (Ward & Hudson SRM) | Good Lives Model (GLM) intégré |
|---|---|---|---|
| But principal | Abstinence totale | Auto-régulation (éviter ou acquérir l’offense) | Construction d’une vie prosociale satisfaisante |
| Nombre de voies | Une voie principale (évitement) | Quatre voies distinctes | Compatible avec les 4 voies du SRM |
| Rôle de l’affect | Toujours négatif | Positif ou négatif selon la voie | Utilisation positive des émotions pour atteindre les biens primaires |
| Stratégie thérapeutique | Identification des risques + coping + supervision | Adaptation du traitement à la voie identifiée | Plan de bonne vie + gestion des risques |
| Efficacité empirique | Modérée (méta-analyses Hanson) | Supérieure lorsqu’individualisée (Olver et al., 2020) | Prometteuse (net gains en motivation et rétention) |
Utilité et limites pour la pratique clinique et pénale
Le modèle de Pithers a eu un rôle heuristique important : il a permis de transférer une logique de prévention de la rechute vers le traitement des agresseurs sexuels et d’outiller cliniquement la gestion des situations à risque. Les apports contemporains (notamment ceux de Jean Proulx) enrichissent cette approche en la reliant à des analyses de pathways, à des typologies opérationnelles et à l’évaluation dynamique du risque. En pratique, l’efficacité réelle dépend fortement : (i) d’une évaluation fine du patient ; (ii) d’une intégration cohérente avec des dispositifs de surveillance et de réinsertion ; (iii) d’une adaptation aux différences typologiques et contextuelles

C’est vers le début des années 2000 que naissent les entreprises de généalogie génétique, MyHeritage, 23&Me ou encore GEDMatch. 

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