
Le triangle du crime : comprendre la criminalité à travers la routine des activités
En 1979, Lawrence Cohen et Marcus Felson publient un article fondateur dans l’American Sociological Review qui propose une approche nouvelle de la criminalité : la théorie des activités routinières (Routine Activity Theory). Leur idée centrale est simple mais novatrice: la criminalité n’est pas seulement le produit de caractéristiques individuelles (par exemple, une « personnalité criminelle »), mais résulte aussi de la rencontre de trois éléments dans l’espace et dans le temps.
C’est ce que l’on appelle aujourd’hui le triangle du crime :
- Un délinquant motivé – quelqu’un qui a une intention criminelle ou une disposition à commettre une infraction.
- Une cible appropriée – une personne, un objet ou un lieu vulnérable (par exemple une maison sans surveillance, un smartphone laissé sur une table, une victime isolée).
- L’absence d’un gardien capable (capable guardian) – c’est-à-dire une personne ou un dispositif capable de dissuader l’acte (un passant, un voisin, une caméra, un agent de sécurité).
Selon Cohen et Felson, un crime se produit lorsque ces trois conditions sont réunies. À l’inverse, si l’un des éléments du triangle est absent, l’infraction a beaucoup moins de chances de se réaliser.
Une perspective centrée sur les opportunités
Ce modèle met l’accent sur le rôle de la structure des opportunités plutôt que sur les seuls traits individuels. En d’autres termes, un délinquant motivé ne peut agir que si l’occasion s’y prête. C’est une rupture avec les approches plus classiques qui cherchaient à expliquer la criminalité presque exclusivement par des facteurs psychologiques ou socio-économiques.
Cohen et Felson montrent aussi que les changements sociaux (comme l’urbanisation, l’entrée massive des femmes sur le marché du travail, l’augmentation des biens de consommation portables) transforment la répartition des cibles et la présence des gardiens. Ainsi, les taux de criminalité peuvent fluctuer non pas parce que les délinquants changent, mais parce que les opportunités criminelles se multiplient ou se réduisent.
Applications pratiques
Le triangle du crime a eu une influence considérable dans le champ de la prévention situationnelle. Il suggère que l’on peut réduire la criminalité en :
- Augmentant la surveillance (gardiennage, caméras, voisins vigilants).
- Réduisant l’attrait ou l’accessibilité des cibles (verrous, marquage des objets de valeur, éclairage public).
- Dissuadant les délinquants motivés (présence policière, campagnes de prévention).
Ces principes ont guidé de nombreux programmes de crime prevention through environmental design (CPTED) et continuent d’inspirer les politiques de sécurité urbaine.
Exemples Concrets d’Application
Imaginons un scénario quotidien : une rue animée en fin de journée. Un piéton (cible adaptée) porte un sac à main visible. Un délinquant motivé passe par là, et il n’y a ni caméras ni passants attentifs (absence de gardien). Le vol peut survenir facilement.
À l’inverse, dans un quartier équipé de éclairage public, de patrouilles policières et de voisins organisés, le triangle est brisé, réduisant les risques. Cette théorie explique aussi les pics de criminalité pendant les vacances, quand les maisons vides deviennent des cibles sans gardiens.
Le triangle du crime de Cohen et Felson reste aujourd’hui un outil conceptuel puissant. Il nous rappelle que la criminalité est un phénomène interactionnel, dépendant des rencontres entre des individus, des opportunités et des contextes. Plutôt que de se focaliser uniquement sur « qui » est criminel, cette approche invite à se demander « quand » et « comment » une situation devient criminogène.
En somme, le triangle du crime illustre parfaitement la maxime selon laquelle : un crime n’est pas seulement le fait d’une personne, mais aussi le produit d’une situation.
Implications pour la Prévention et la Politique Criminelle
La théorie des activités routinières a des retombées pratiques en criminologie appliquée. Elle inspire des stratégies de prévention situationnelle, comme :
- Renforcer les gardiens : Installation de systèmes de vidéosurveillance ou encouragement à la vigilance communautaire.
- Rendre les cibles moins attractives : Utilisation de verrous anti-vol ou de designs urbains qui limitent les opportunités (par exemple, des parcs bien éclairés).
- Modifier les routines : Encourager les transports en commun sécurisés pour éviter les zones isolées.
Des chercheurs ultérieurs, comme John E. Eck, ont étendu ce modèle en intégrant le rôle des « gestionnaires de lieux » (place managers), qui supervisent des espaces spécifiques pour prévenir les crimes.
Le triangle du crime de Cohen et Felson nous rappelle que le crime n’est pas inévitable, mais souvent le résultat d’opportunités créées par nos modes de vie modernes. En comprenant ces dynamiques, nous pouvons mieux concevoir des sociétés plus sécurisées. Si vous êtes intéressé par d’autres théories criminologiques, comme la théorie des fenêtres brisées ou la criminologie environnementale, laissez un commentaire ci-dessous !
Références :


Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.