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Le trouble de l’usage du cannabis et delinquance

septembre 17th, 2025 | Publié par crisostome dans CANNABIS

Effets du cannabis médical

Le cannabis est la substance illicite la plus consommée dans le monde. En France, selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), près de 47 % des adultes en ont déjà expérimenté l’usage au moins une fois. Si la majorité des consommateurs restent occasionnels, une proportion significative développe un trouble de l’usage du cannabis (TUC), reconnu dans les classifications médicales internationales (DSM-5, CIM-11).

Le trouble de l’usage du cannabis (TUC) est un nouveau terme diagnostique qui combine deux anciens concepts autonomes liés à l’abus de cannabis et à la dépendance au cannabis (Jutras-Aswad, 2019 ). Les symptômes du TUC, selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) actuel, incluent l’usage de cannabis pendant au moins un an et la présence d’au moins deux des symptômes suivants, accompagnés d’une altération significative du fonctionnement et d’une détresse :

  • Difficulté à contrôler la consommation de cannabis… utilisée en plus grande quantité et sur une période plus longue que prévu.
  • Efforts répétés mais infructueux pour arrêter ou réduire la quantité de cannabis consommée.
  • Beaucoup de temps est passé à acquérir du cannabis, à en consommer ou à récupérer de ses effets.
  • Envies irrépressibles ou désirs de consommer du cannabis… pensées et images intrusives, et rêves.
  • Poursuite de la consommation de cannabis malgré les conséquences négatives de son usage, telles que des poursuites judiciaires, des ultimatums d’abandon de la part du conjoint/partenaire/amis, et une faible productivité.
  • D’autres activités importantes de la vie, comme le travail, l’école, l’hygiène et les responsabilités envers la famille et les amis, sont supplantées par le désir de consommer du cannabis.
  • Le cannabis est consommé dans des contextes potentiellement dangereux, comme la conduite d’un véhicule à moteur.
  • L’usage du cannabis se poursuit malgré la connaissance de problèmes physiques ou psychologiques attribués à sa consommation – par exemple, l’anergie, le manque de motivation, la toux chronique.
  • La tolérance au cannabis, définie par le besoin de quantités progressivement plus importantes pour obtenir l’effet psychoactif ressenti au début de la consommation…
  • Le sevrage, défini par le syndrome de sevrage typique associé au cannabis, ou le cannabis (ou une substance similaire) est utilisé pour éviter les symptômes de sevrage.

APA, 2013

Le DSM suggère que la gravité du trouble dépend du nombre de symptômes. Un cas léger de TUC implique la présence de deux ou trois symptômes. Un cas modéré en compte quatre ou cinq, et un cas grave est présent lorsque six symptômes ou plus s’appliquent à un consommateur de cannabis (APA, 2013). Malgré la redéfinition stratégique du TUC, l’hypothèse que ce « trouble » représente un problème de santé publique significatif a devancé les preuves existantes (Sagar & Gruber, 2018). En effet, les taux de psychose ou d’autres comportements désordonnés n’ont pas augmenté là où le cannabis a été dépénalisé ou légalisé (Callahan et al., 2021 ; Frisher et al., 2009 ; Gabri et al., 2022 ; Lu et al., 2021). Des articles récents postulent des « associations possibles » entre le cannabis et des effets néfastes sur la santé, mais appliquent ces préoccupations à un groupe toujours plus restreint de jeunes, d’adolescents et de personnes souffrant de maladie mentale (Borodovsky & Budney, 2018; Connor et al., 2021 ; Leyton, 2019).

« La médicalisation du cannabis a normalisé son usage dans certains contextes et réduit la judiciarisation pour d’autres. Cependant, la pathologisation de l’usage du cannabis a compliqué les efforts pour le légaliser et le réguler. En entérinant un rôle pour le modèle médical de l’addiction, malgré les problèmes significatifs de cette formulation, ce modèle justifie des modèles de traitement coercitifs et démontre comment le pouvoir de punir a été décentralisé, reproduit et recentré sur ceux jugés problématiques (Cracknell, 2021). Les recherches passées fournissent un certain contexte pour comprendre le cannabis, la stigmatisation, la normalisation et la médicalisation. De nouvelles études offrent une plus grande profondeur et détail et suggèrent des directions nouvelles essentielles et intrigantes. »

source: Wheedon & Heidt (2023) Cannabis criminology, Routledge

Cannabis et criminalité : quels liens ?

Le trouble de l’usage du cannabis intéresse particulièrement la criminologie, car il se situe à l’intersection entre santé publique et justice pénale :

  1. Does heavy adolescent marijuana use lead to criminal involvement in adulthood?
    Une étude longitudinale (cohorte Woodlawn, population afro-américaine urbaine, N ≈ 702) a examiné les usages intenses de cannabis à l’adolescence (≥ 20 fois) et leurs liens avec la criminalité adulte (délits de propriété, infractions liées aux drogues, arrestations, incarcérations). Résultat : il existe une association significative entre usage adolescent lourd de cannabis et criminalité de propriété et justice pénale ultérieure, mais pas d’effet marqué sur la criminalité violente une fois les facteurs confondants pris en compte. PubMed
  2. Continuity of cannabis use and violent offending over the life course
    Une autre étude longitudinale a suivi des sujets à plusieurs âges (18, 32, 48 ans) et a trouvé que l’usage continu de cannabis était fortement corrélé à un risque accru de violence ultérieure, que ce soit par condamnations officielles ou par auto-déclaration. L’odds ratio (OR) pour les condamnations violentes était d’environ 7,1 (IC à 95 % : 2,19-23,59), ce qui suggère un effet marqué même après contrôle de nombreux facteurs de risque réguliers. PubMed
  3. Young in Norway Longitudinal Study
    Suivi d’une population de 1 353 personnes de 13 à 27 ans, recoupant usages de cannabis, alcool, usage d’autres substances, et contexte familial/social. Cette étude a montré des associations robustes entre consommation de cannabis à l’adolescence / jeune adulte et infractions criminelles officielles enregistrées plus tard. Ces associations restent significatives même après ajustement pour beaucoup de variables confondantes (antécédents, milieu familial, niveau socio-économique, etc.). PubMed
  4. Association Between the Use of Cannabis and Physical Violence in Youths: Meta-Analytical Investigation
    Une méta-analyse sur des adolescents et jeunes adultes conclut que l’usage de cannabis est un facteur de risque modéré pour la perpétration de violence. Les auteurs insistent sur le besoin de prendre en compte l’usage d’autres substances, les traits de personnalité, et sur les effets dose‐réponse possibles. Psychiatry Online
  5. Cannabis Use and Antisocial Behavior Among Youth (RAND)
    Étude qui examine les relations entre différents patterns d’usage de cannabis (fréquent, persistant) et comportements antisociaux, en contrôlant pour des variables socio-démographiques, de santé, etc. Résultat : l’usage de cannabis est positivement associé aux comportements antisociaux, et l’association est plus forte chez les usagers fréquents / persistants. RAND Corporation

Facteurs de vulnérabilité

Plusieurs facteurs augmentent le risque de développer un trouble de l’usage :

  • Âge précoce d’initiation (adolescence, période de vulnérabilité neurobiologique) ;
  • Antécédents familiaux d’addictions ;
  • Facteurs psychosociaux (déscolarisation, précarité, troubles psychiatriques associés comme anxiété ou dépression) ;
  • Environnement criminogène (exposition aux trafics, pairs consommateurs).

Prise en charge et prévention

La recherche criminologique et les pratiques cliniques convergent vers une approche multidimensionnelle :

  • Prévention : retarder l’âge d’initiation, sensibiliser aux risques, programmes en milieu scolaire.
  • Interventions psycho-éducatives : programmes basés sur les cognitivo-comportementales (CBT), gestion des envies, renforcement des compétences sociales.
  • Approches motivationnelles : entretiens motivationnels pour favoriser l’engagement au changement.
  • Réduction des risques en milieu pénitentiaire : repérage précoce, soutien psychologique, alternatives thérapeutiques aux sanctions strictement punitives.

Le trouble de l’usage du cannabis illustre parfaitement l’articulation entre santé mentale, santé publique et criminologie. Comprendre ses mécanismes et ses conséquences permet non seulement d’améliorer la prise en charge des personnes concernées, mais aussi de développer des stratégies de prévention adaptées, que ce soit dans la société civile ou en milieu judiciaire et pénitentiaire.

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