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Le DARVO : Un Outil Clé pour Identifier et Intervenir auprès des Auteurs de Violences Conjugales

septembre 17th, 2025 | Publié par crisostome dans VIOLENCE CONJUGALE

Le concept de DARVO (acronyme de Deny, Attack, Reverse Victim and Offender) a été formalisé par la psychologue Jennifer Freyd en 1997 dans le cadre de ses travaux sur la trahison et l’abus psychologique. Il désigne une tactique de défense du coupable d’abus : face à des accusations, l’agresseur nie catégoriquement les faits (deny), attaque la crédibilité de la victime (attack), puis inverse les rôles de victime et d’auteur (reverse), se présentant comme la « vraie victime » et faisant endosser le rôle d’agresseur à son interlocuteur. De manière synthétique, le DARVO comprend trois étapes successives :

  • Deny (nier) : l’auteur nie la violence ou en minimise l’importance.
  • Attack (attaquer) : il discrédite la victime ou ses témoins (par ex. qualifie la victime de menteuse, folle, vengeresse).
  • Reverse (inverser) : il se présente lui-même comme le « victime » du conflit et accuse la plaignante d’être en réalité l’agresseur.

Cette définition, tirée de travaux expérimentaux récents, est désormais unanimement reprise dans la littérature : le DARVO est un schéma d’« auto-défense » psychologique qui sert à faire dévier la responsabilité hors de l’auteur et à faire douter de la parole de la victime.

« DARVO (Nier, Attaquer, et Inverser les rôles de Victime et d’Agresseur) décrit la manière dont les auteurs de violences interpersonnelles détournent le blâme et la responsabilité lorsqu’ils sont confrontés à leur comportement abusif (Freyd, 1997). Lorsqu’il est employé, un auteur nie ou minimise les préjudices de ses actes répréhensibles, attaque la crédibilité de la victime et inverse les rôles de victime et d’agresseur, de sorte que le perpetrator assume une position de victimisation et déclare que la victime est le véritable agresseur. À ce jour, il existe très peu de recherches étudiant le DARVO. Une étude empirique examinant la prévalence du DARVO lors de confrontations entre victimes et auteurs a révélé qu’il s’agit d’une réponse couramment utilisée par les agresseurs (Harsey et al., 2017). Cette recherche a également mis en lumière un lien entre l’utilisation du DARVO par les agresseurs et les sentiments d’auto-culpabilisation des victimes : plus le perpetrator utilisait le DARVO pendant la confrontation, plus les victimes déclaraient se sentir coupables du méfait ». Jennifer Freyd (2020)

Fréquence et effets en contexte de violences conjugales

Diverses études soulignent que les auteurs de violences conjugales recourent fréquemment à des mécanismes identiques aux trois phases du DARVO. Par exemple, Henning et al. ont montré qu’un « nombre significatif » d’auteurs (hommes et femmes) niait l’agression ou en minimisait la gravité lors d’évaluations post-condamnation. De même, Levesque et al. (2008) constatent que la « négation » des faits et le « blâme de la victime » figurent parmi les formes de résistance les plus courantes chez les agresseurs en programme de prise en charge. Autrement dit, les thèmes du DARVO sont extrêmement répandus dans les récits des auteurs : nier l’infraction et accuser la victime sont cités comme des stratégies presque systématiques.

Ces mécanismes ont des effets très concrets sur la perception des faits. Harsey et Freyd (2020) ont mené des expériences avec des scénarios fictifs : ils montrent que lorsqu’un agresseur emploie un discours de type DARVO, les observateurs évaluent la victime comme moins crédible, plus « responsable » et plus « violente » que dans un récit neutre. Réciproquement, l’auteur est perçu comme moins abusif et moins responsable des violences. Ces résultats suggèrent que le DARVO tend à renforcer les doutes sur la victime et à minimiser la culpabilité de l’agresseur. Les auteurs soulignent d’ailleurs qu’une information préalable sur le DARVO atténue ces effets : des sujets « éduqués » sur ce mécanisme jugent la victime plus crédible et l’auteur moins crédible.

Reconnaître le DARVO dans le discours des auteurs

Dans la pratique judiciaire, le DARVO peut se repérer au vocabulaire et aux tournures du discours de l’accusé. Un agresseur en mode DARVO nie généralement les violences explictement (« je n’ai jamais levé la main sur elle », « c’est elle qui a commencé »), s’en prend systématiquement au caractère ou aux motivations de la victime (« elle ment pour la garde des enfants/ pour l’argent/ parce qu’elle est jalouse/ parce qu’elle est malade »), puis raconte ses propres émotions passées pour se positionner comme la « vraie victime ». Un guide de probation américain souligne à cet égard que l’agresseur « minimize ses propres actes, blâme la victime et essaie de se présenter comme la véritable victime », en particulier lorsque la victime a tenté de se défendre. Par exemple, l’agresseur pourra insister sur le fait que la plainte est « fausse » et résulte d’un besoin de vengeance ou de profits, ou renverser la situation (« j’étais sous l’emprise de stress, c’est elle qui ne voulait pas de moi »).

Ces indices verbaux doivent alerter les professionnels. L’inversion des rôles est souvent assez flagrante : on constate que l’auteur se sent « lynché » ou présenté « à tort » comme coupable, tandis qu’il décrit la victime comme agressive et irrationnelle. Le recours à des accusations de psychose, d’aliénation, ou de motivations cachées (environnement familial, immigration, etc.) pour décrédibiliser la victime fait également partie de ce schéma. Bref, dès lors que le discours de l’accusé colle au schéma nier – attaquer – inverser, il convient de l’identifier comme DARVO et de ne pas se laisser tromper par cette inversion des responsabilités.

Intérêt pour les professionnels de probation

Pour les agents de probation et les intervenants judiciaires, la grille DARVO est un outil précieux pour décrypter les stratégies de défense des délinquants violents. Elle permet d’inscrire dans l’évaluation criminologique le constat d’une possible dénégation systématique du crime. En effet, reconnaître ce schéma évite de se laisser convaincre par la version victimaire de l’auteur. Comme le note le guide californien , il est « important pour l’agent de probation d’éviter de se faire complice » en laissant l’agresseur justifier son comportement abusif. Autrement dit, savoir repérer le DARVO aide le professionnel à maintenir une distance critique : il peut ainsi poser des questions factuelles précises, souligner les incohérences sans accuser directement, et orienter l’évaluation vers l’attitude réelle du prévenu plutôt que vers ses justifications.

Ce concept aide également à calibrer les risques de récidive. Un auteur qui ne prend aucune responsabilité (tout nier et tout attribuer à la victime) est souvent moins apte à engager un travail sur lui-même. Le DARVO peut donc signaler un haut degré de résistance au changement : ces auteurs nécessiteront des interventions spéciales (groupes cognitivo-comportementaux ciblés, surveillance renforcée, etc.). Enfin, l’analyse du DARVO dans le discours – consignée dans les rapports – apporte au juge ou au psy un éclairage sur les mécanismes de défense mobilisés par le détenu. Cela contribue à une vision plus globale de sa personnalité et de son processus de déni, utile pour ajuster les orientations judiciaires ou thérapeutiques.

Perspectives d’intégration dans la pratique professionnelle

Pour concrètement intégrer le DARVO dans le travail quotidien des professionnels, plusieurs pistes sont possibles :

  • Formation continue : Sensibiliser juges, conseillers pénitentiaires et psychologues à la notion de DARVO, via des sessions de formation ou des modules de e-learning. La présentation d’études de cas réels permet d’illustrer ce phénomène.
  • Entretien et rapport : En entretien avec l’auteur, reformuler les accusations portées à la victime permet de révéler le retournement (par ex. « Vous pensez vraiment qu’elle a menti exprès »). Tout discours accusateur systématique peut être noté explicitement dans les rapports d’expertise. On peut aussi mentionner le DARVO lui-même comme hypothèse d’interprétation dans l’évaluation du risque.
  • Intervention individualisée : En thérapie ou en contrôle supervisé, confronter doucement l’agresseur à ses contradictions (ex. « Vous dites ici que c’est la victime, comment l’expliquer ? ») peut l’amener à diminuer son usage du DARVO. Des techniques de communication non accusatoire (thérapie centrée sur le dialogue) aident à sortir de la spirale inversion-victimisation.
  • Rédaction de documents : Inscrire dans les bilans que l’auteur suit le schéma DARVO (deny, attack, reverse) aide à informer tous les acteurs (avocats, psychologues, juge). Un encadré ou un modèle de rapport sur les « indices de minimisation/blâme » normalise l’usage de cette grille analytique.
Composantes du DARVO Description Exemples en Violences Conjugales Implications pour la Probation
Deny (Nier) L’auteur refuse d’admettre les faits ou les minimise. « Je ne t’ai pas frappée, c’était juste une dispute. » Signale un manque de reconnaissance, nécessitant une vérification accrue des faits via des rapports ou témoignages.
Attack (Attaquer) L’auteur discrédite la victime ou le professionnel. « Elle ment pour me punir, elle est folle. » Peut indiquer une hostilité persistante ; les agents doivent documenter pour ajuster le niveau de supervision.
Reverse Victim and Offender (Inverser Victim-Offender) L’auteur se pose en victime et dépeint l’autre comme agresseur. « C’est elle qui me contrôle, je subis ses manipulations. » Augmente le risque de manipulation institutionnelle ; utile pour évaluer la sincérité lors des évaluations de progrès.

Pour les professionnels de la probation, le DARVO n’est pas seulement un concept théorique ; c’est un outil opérationnel pour renforcer la sécurité des victimes et la réhabilitation des auteurs. En l’intégrant dans les protocoles de supervision et d’intervention, on favorise une justice plus équitable et préventive. Des recherches futures pourraient explorer son efficacité dans des contextes multiculturels ou avec des auteurs aux profils variés, mais les preuves actuelles soulignent son utilité indéniable dans la criminologie appliquée.

Exemples de Signes de DARVO en Supervision Stratégies de Réponse pour les Professionnels
Négation persistante des faits judiciaires Encourager la revue des preuves objectives sans confrontation.
Accusations envers la victime lors d’entretiens Rediriger vers la responsabilité personnelle via des questions ouvertes.
Inversion des rôles dans les rapports Utiliser des outils d’évaluation pour quantifier le risque et ajuster les conditions de probation.
Minimisation lors des évaluations de progrès Intégrer des sessions éducatives sur l’empathie et l’accountability.

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