Les distorsions cognitives – croyances erronées ou biaisées qui justifient ou minimisent le comportement délictueux – constituent un élément central dans la compréhension et le traitement de la délinquance. Ces schémas de pensée, identifiés par Gibbs et al. (1995, 2001), sont particulièrement fréquents chez les auteurs de délits violents, sexuels ou de délinquance générale.
Le How I Think (HIT) Questionnaire, développé par Gibbs, Barriga et Potter, est un instrument psychométrique spécifiquement conçu pour évaluer ces distorsions chez les adolescents et les jeunes adultes en conflit avec la loi.
Origine et structure du HIT
Le HIT repose sur la théorie de Gibbs selon laquelle les délinquants présentent quatre grandes catégories de distorsions cognitives :
- Blâme des autres (blaming others) – attribuer la responsabilité de ses actes à autrui ou aux circonstances.
- Minimisation/exagération (minimizing/mislabeling) – minimiser la gravité du délit ou donner des étiquettes dévalorisantes aux victimes.
- Assumer le pire (assuming the worst) – interpréter les situations sociales de manière hostile et anticiper des intentions négatives d’autrui.
- Égoïsme égocentrique (self-centered) – placer ses propres besoins et désirs au-dessus de ceux des autres, sans prise en compte de leurs droits.
Le questionnaire comporte environ 54 items auto-rapportés, organisés en sous-échelles correspondant à ces distorsions, ainsi qu’à des styles de pensée délinquants (violence physique, vol, opposition aux règles, abus de substances).
Items de How I Think Questionnaire
(traduction libre)
- Les gens devraient essayer de travailler sur leurs problèmes.
- Je ne peux pas m’empêcher de perdre souvent mon calme.
- Parfois, il faut mentir pour obtenir ce que l’on veut.
- Parfois, je m’ennuie.
- Les gens ont besoin d’être malmenés de temps en temps.
- Si j’ai fait une erreur, c’est parce que j’ai de mauvaises frequentations.
- Si je vois quelque chose qui me plaît, je le prends.
- On ne peut pas faire confiance aux gens car ils vous mentiront toujours.
- Je suis généreux(se) avec mes amis.
- Quand je suis en colère, je me moque de qui je blesse.
- Si quelqu’un laisse une voiture déverrouillée, il cherche à ce qu’elle soit volée.
- Tu dois te venger des gens qui ne te respectent pas.
- Parfois, je propage des rumeurs sur d’autres personnes.
- Tout le monde ment, ce n’est pas grave.
- Il est inutile d’essayer de rester à l’écart des bagarres.
- Tout le monde a le droit d’être heureux.
- Si tu sais que tu peux t’en tirer impunément, seul un idiot ne volerait pas.
- Peu importe à quel point j’essaie, je ne peux pas m’empêcher d’avoir des ennuis.
- Seul un lâche s’éloignerait jamais d’un combat.
- J’ai parfois dit du mal d’un ami.
- Ce n’est pas grave de dire un mensonge si quelqu’un est assez bête pour y croire.
- Si je veux vraiment quelque chose, peu importe comment je l’obtiens.
- Si tu ne bouscules pas les gens, on s’en prendra toujours à toi.
- Les amis doivent être honnêtes les uns envers les autres.
- Si un magasin ou un propriétaire se fait voler, c’est vraiment de sa faute pour ne pas avoir une meilleure sécurité.
- Les gens te forcent à mentir s’ils posent trop de questions.
- J’ai essayé de me venger de quelqu’un.
- Tu devrais obtenir ce dont tu as besoin, même si cela signifie que quelqu’un doit être blessé.
- Les gens essaient toujours de m’embêter.
- Les magasins gagnent assez d’argent pour que ce soit OK de juste prendre les choses dont on a besoin.
- Dans le passé, j’ai menti pour me sortir d’un problème.
- Tu devrais blesser les gens en premier, avant qu’ils ne te blessent.
- Un mensonge n’a pas vraiment d’importance si tu ne connais pas cette personne.
- Il est important de penser aux sentiments des autres.
- Tu pourrais aussi bien voler. Si tu ne le prends pas, quelqu’un d’autre le fera.
- Les gens essaient toujours de provoquer des bagarres avec moi.
- Les règles sont surtout faites pour les autres.
- J’ai dissimulé des choses que j’ai faites.
- Si quelqu’un est assez négligent pour perdre un portefeuille, il mérite de se le faire voler.
- Tout le monde enfreint la loi, ce n’est pas grave.
- Quand les amis ont besoin de toi, tu devrais être là pour eux.
- Obtenir ce dont tu as besoin est la seule chose importante.
- Tu pourrais aussi bien voler. Les gens te voleraient s’ils en avaient l’occasion.
- Si les gens ne coopèrent pas avec moi, ce n’est pas de ma faute si quelqu’un se blesse.
- J’ai fait de mauvaises choses que je n’ai racontées à personne.
- Quand je perds mon calme, c’est parce que les gens essaient de me mettre en colère.
- Prendre une voiture ne fait vraiment de mal à personne si rien n’arrive à la voiture et que le propriétaire la récupère.
- Tout le monde a besoin d’aide de temps en temps.
- Je pourrais aussi bien mentir—quand je dis la vérité, les gens ne me croient de toute façon pas.
- Parfois, tu dois blesser quelqu’un si tu as un problème avec lui.
- J’ai pris des choses sans demander.
- Si j’ai menti à quelqu’un, c’est mon affaire.
- Tout le monde vole—tu pourrais aussi bien avoir ta part.
- Si je veux vraiment faire quelque chose, je me moque que ce soit légal ou non.
Intérêt pour les professionnels de la probation et de la psychologie légale
L’utilisation du HIT permet aux praticiens d’aller au-delà du simple constat factuel de l’infraction, en accédant aux représentations mentales qui la sous-tendent. Trois bénéfices principaux peuvent être soulignés :
- Repérage clinique : identifier les distorsions dominantes chez un justiciable aide à comprendre ses rationalisations. Par exemple, un sujet qui obtient un score élevé en blâme des autres aura tendance à se présenter comme victime d’injustices.
- Évaluation du risque et de la motivation au changement : la persistance de distorsions cognitives est un facteur de risque de récidive reconnu dans les modèles de type RNR (Risk-Need-Responsivity). Des scores élevés au HIT signalent souvent une résistance aux prises de responsabilité.
- Ciblage de l’intervention : les programmes de traitement cognitivo-comportemental (ex. Reasoning & Rehabilitation, CBI-SU, etc.) intègrent systématiquement le travail sur les distorsions cognitives. Le HIT fournit un point de départ objectif pour adapter le contenu et suivre l’évolution du participant.
Comment utiliser le HIT en pratique professionnelle
- Passation : le questionnaire est administré individuellement, dans un cadre calme et confidentiel. Il convient de rappeler au participant que ses réponses doivent refléter ses pensées habituelles, et non ce qu’il pense être « attendu ».
- Analyse des scores : on observe à la fois le score total de distorsions et les sous-scores par domaine. L’interprétation doit être prudente et contextualisée (comparaison avec les normes de populations délinquantes vs. non-délinquantes).
- Exploration clinique : les résultats du HIT gagnent à être utilisés comme base de discussion. Exemple de relance en entretien :
- « Vous obtenez un score élevé sur le fait de blâmer les autres. Pouvez-vous me donner un exemple où vous avez ressenti que la faute venait surtout des autres ? »
- « Comment cela vous a aidé, ou pas, dans la situation ? »
- « Quelles autres façons de voir les choses auraient été possibles ? »
- Intégration dans le suivi : le HIT peut être ré-administré après un programme de prise en charge afin de mesurer l’évolution cognitive et d’objectiver les progrès.
Le How I Think Questionnaire représente un instrument précieux pour les professionnels de la probation, de la justice et de la psychologie légale. En facilitant l’identification et l’exploration des distorsions cognitives, il contribue à renforcer la pertinence des évaluations criminologiques et à orienter plus finement les interventions auprès des auteurs d’infractions.
Références clés :
- Gibbs, J. C., Barriga, A. Q., & Potter, G. B. (2001). How I Think (HIT) Questionnaire: Manual. Champaign, IL: Research Press.
- Barriga, A. Q., & Gibbs, J. C. (1996). Measuring cognitive distortion in antisocial youth: Development and preliminary validation of the “How I Think” questionnaire. Aggressive Behavior, 22(5), 333–343.

Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.