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Pensée antisociale et attrition dans les programmes

septembre 20th, 2025 | Publié par crisostome dans PROBATION | PROGRAMMES

 

Tafrate

L’attrition – définie comme la non-complétion des programmes judiciaires ou thérapeutiques – constitue une problématique récurrente. Une méta-analyse d’Olver, Stockdale et Wormith (2011) a montré que près d’un tiers des justiciables engagés dans un programme communautaire abandonnent avant la fin, et que ces non-compléteurs présentent un risque de récidive accru de 23 % par rapport aux participants qui achèvent leur prise en charge.

Mitchell

Traditionnellement, les prédicteurs de l’attrition incluent les troubles de la personnalité, la psychopathie, les antécédents criminels et l’attitude face au traitement. L’étude de Mitchell et al. (2013) apporte une contribution essentielle en examinant spécifiquement le rôle des styles de pensée criminelle mesurés à l’aide d’un instrument validé, le Criminogenic Thinking Profile (CTP ; Mitchell & Tafrate, 2012).

Méthodologie

Deux contextes communautaires distincts ont été étudiés :

  • Day Reporting Center (DRC) : 141 participants (probationnaires et prévenus), suivis en moyenne 141 jours.
  • Sober House (SH) : 184 participants souffrant de dépendances (dont 27 % sous probation/parole), suivis en moyenne 46 jours.

Les dimensions cognitives du CTP comprennent :

  • Disregard for Others (manque d’empathie),
  • Demand for Excitement (quête de sensations fortes),
  • Poor Judgment (mauvaise anticipation des conséquences),
  • Emotionally Disengaged (désengagement émotionnel),
  • Parasitic/Exploitive, Justifying, Inability to Cope, Grandiosity.

L’issue principale était la complétion ou non du programme.

Résultats

  1. Association générale
    Dans les deux échantillons, les non-compléteurs présentaient des scores totaux de pensée criminelle significativement plus élevés que les compléteurs (p < .05), confirmant le rôle de ces cognitions comme facteur de risque d’attrition.

  2. Profil spécifique au DRC

  • Attrition corrélée à : Disregard for Others (OR = 1.16, p = .01) et Demand for Excitement (OR = 1.21, p = .03).
  • Les non-compléteurs manifestaient un manque marqué d’empathie et une recherche de stimulation.
  1. Profil spécifique au SH

  • Attrition prédite par : Demand for Excitement (OR = 1.17, p = .04).
  • Les non-compléteurs se distinguaient également par des scores plus élevés en Emotionally Disengaged et Inability to Cope, suggérant des difficultés d’autorégulation et de gestion des émotions.

Les résultats confirment que la pensée criminelle ne constitue pas seulement un besoin criminogène (RBR, Andrews & Bonta, 2010), mais aussi un facteur de récéptivité qui interfère avec l’engagement et la persévérance dans les programmes.

  • Pour les DRC, le manque d’égard pour autrui apparaît central : l’absence d’empathie et la désinvolture vis-à-vis des règles peuvent générer des conflits avec les intervenants, précipitant l’exclusion ou le retrait.
  • Pour les SH, c’est la recherche d’excitation et l’incapacité à tolérer l’ennui qui dominent, reflétant des vulnérabilités typiques des personnes avec un passé de consommation problématique.

Ces données complètent les constats de Walters (2004) et Berman (2004) sur la valeur prédictive de certains styles cognitifs pour l’attrition, tout en élargissant l’analyse aux programmes communautaires, là où la majorité des justiciables sont suivis (Pew Center on the States, 2009).

Implications pratiques

  • Évaluation précoce : intégrer systématiquement une mesure standardisée des pensées criminelles (p. ex. CTP, PICTS ; Walters, 1995) dès l’admission.
  • Modules préparatoires : cibler la motivation et l’alliance thérapeutique pour limiter l’impact des styles cognitifs dysfonctionnels.
  • Adaptation différenciée :
    • En DRC, travailler sur l’empathie et la responsabilisation.
    • En SH, développer la tolérance à la frustration et les stratégies de coping.
  • Perspective RBR : considérer la pensée criminelle à la fois comme cible d’intervention et comme obstacle initial à lever pour assurer la réceptivité.

L’étude de Mitchell et al. (2013) démontre que des profils cognitifs distincts sont associés à l’attrition selon le type de programme communautaire. La prise en compte de ces schémas dès l’évaluation initiale permettrait d’améliorer la rétention et, in fine, de réduire la récidive.

Référence principale : Mitchell, D., Tafrate, R. C., Hogan, T., & Olver, M. E. (2013). An exploration of the association between criminal thinking and community program attrition. Journal of Criminal Justice, 41(2), 81–89. https://doi.org/10.1016/j.jcrimjus.2012.09.003

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