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La Nature Genrée des Patterns de Pensée Criminogènes

septembre 20th, 2025 | Publié par crisostome dans CRIMINOLOGIE

Dans le domaine de la criminologie appliquée, l’évaluation des patterns de pensée criminogènes (cognitions antisociales) est cruciale pour orienter les interventions cognitivo-comportementales (CBT) auprès des clients impliqués dans la justice. L’étude pilote de Natalie J. Jones, Damon Mitchell et Raymond Chip Tafrate, publiée en 2020 dans Criminal Justice and Behavior (Vol. XX, No. X, pp. 1-17), explore la pertinence de ce construit pour les femmes, souvent sous-représentées dans la littérature dominée par des échantillons masculins. En s’appuyant sur une analyse au niveau des items du Criminogenic Thinking Profile (CTP ; Mitchell & Tafrate, 2012), les auteurs démontrent que les patterns de pensée criminogènes sont pertinents pour les deux genres, mais présentent des chevauchements et des divergences notables. Les résultats soulignent une validité prédictive supérieure pour les modèles genrés, avec une précision remarquable pour les femmes (AUC = .86).

JONES, MITCHELL, TAFRATE (2020) The Gendered Nature of Criminogenic Thinking Patterns Among Justice-Involved Clients, A Pilot Study

Résumé de l’article : « Étant donné qu’une grande partie de notre compréhension de la pensée criminogène (cognitions antisociales) est basée sur des populations judiciaires masculines, des questions subsistent quant à l’applicabilité de ce concept aux femmes confrontées au système judiciaire. Sur la base d’une analyse au niveau des items de 216 clients suivis par la justice, les résultats de cette étude pilote suggèrent que la pensée criminogène chez les femmes est pertinente, et qu’elle présente à la fois des similitudes et des différences avec celle des hommes. En fait, la précision prédictive de la récidive obtenue avec un modèle adapté au genre développé pour les femmes a dépassé celle du modèle correspondant développé pour les hommes (aire sous la courbe [AUC] = 0,86 contre AUC = 0,67). Nous recommandons la création d’instruments de mesure de la pensée criminogène parcimonieux qui optimisent la validité prédictive critériée. Des échelles adaptées au genre, qui capturent la spécificité genrée existant dans les schémas de pensée criminogène, peuvent contribuer à (a) optimiser la prédiction de la récidive et (b) identifier les constellations essentielles d’objectifs de traitement parmi les populations médico-légales. »

Conceptualisation

L’étude s’inscrit dans le cadre du modèle RBR, où les schémas de pensée criminogènes sont considérés comme un facteur de risque dynamique majeur pour la récidive. Défini comme des cognitions facilitant les comportements antisociaux, criminels et autodestructeurs, ce construit émerge à la fois de la littérature CBT (ex. : restructuration des distorsions cognitives) et de théories criminologiques comme la neutralisation (Sykes & Matza, 1957).

Cependant, les auteurs notent que les instruments existants, développés principalement sur des échantillons masculins, pourraient omettre des nuances genrées, influencées par des facteurs comme la victimisation, la dépendance financière ou les motivations relationnelles chez les femmes (ex. : Chesney-Lind & Shelden, 2014).

Le CTP, un questionnaire auto-rapporté de 62 items sur une échelle Likert à 4 points, mesure huit patterns :

  • Disregard for Others (Mépris pour les Autres),
  • Demand for Excitement (Besoin d’Excitation),
  • Poor Judgment (Mauvais Jugement),
  • Emotionally Disengaged (Détachement Émotionnel),
  • Parasitic/Exploitive (Parasitaire/Exploiteur),
  • Justifying (Justification),
  • Inability to Cope (Incapacité à Faire Face),
  • et Grandiosity (Grandiosité).

L’étude explore les différences de genre en prévalence et en prédiction de la récidive, en créant des échelles genrées.

Résultats

  • Prévalence : Pas de différence sur le score total (Femmes : M=109.90 ; Hommes : M=109.10).
    • Femmes plus élevées sur Parasitic/Exploitive (Parasitaire/Exploiteur) ; Hommes sur Justifying (Justification).
  • Prédiction au Niveau des Sous-échelles : Deux neutres (Poor Judgment (Mauvais Jugement), Justifying (justification). Une spécifique aux femmes (Disregard for Others – Mépris pour les Autres). Une spécifique aux hommes (Demand for Excitement -Besoin d’Excitation). Quatre non prédictives.
  • Analyse au Niveau des Items : Sur 62 items, 11.3% neutres (n=7 ; ex. : justifications pour crime familial). 19.4% spécifiques aux femmes (n=12 ; thèmes : coping via substances, dépendance financière, sous-estimation des facteurs protecteurs, revanche). 12.9% spécifiques aux hommes (n=8 ; thèmes : impulsivité émotionnelle, vulnérabilité évitée, excitation sur pursuits conventionnels, indifférence au système). 52% non prédictifs.

Implications pour les Professionnels

Les résultats soutiennent l’intégration de nuances genrées dans l’évaluation RBR pour optimiser la prédiction et les cibles d’intervention. Chez les femmes : Focaliser sur le coping émotionnel, la revanche relationnelle, la dépendance financière, et booster l’estime de soi. Chez les hommes : l’impulsivité, la recherdche d’excitation, et l’indifférence au système. Des instruments genrés courts pourraient complémenter les outils comme LSI-R, favorisant des CBT personnalisés et réduisant l’attrition.

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