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Programmes parentaux en prison et pertinence contextuelle : le cas du programme FACT

septembre 20th, 2025 | Publié par crisostome dans PARENTALITÉ

Dans The Prison Journal (2020), Abigail Henson analyse l’importance de la pertinence contextuelle dans les programmes de parentalité en milieu carcéral (Henson 2020, Meet Them Where They Are: The Importance of
Contextual Relevance in Prison-Based Parenting (PBPPs). Elle y dresse un contexte à enjeux:

  • « Le rôle parental est l’un des facteurs les plus influents sur l’ajustement psychosocial d’un enfant (Newman et al., 2011)
  • La manière dont les parents interagissent avec leurs enfants peut constituer soit un facteur de risque, soit un facteur de protection pour les résultats développementaux des enfants (Gilbert et al., 2009 ; Hildyard & Wolfe, 2002 ; Luby et al., 2013 ; McLeod & Shanahan, 1993 ; Morris et al., 2017 ; Norman et al., 2012 ; Odgers et al., 2012)
  • Par exemple, la littérature existante constate que des pratiques parentales alliant un haut niveau de stabilité et de bienveillance peuvent réduire les comportements antisociaux, la dépression, l’anxiété et le stress chez les enfants (Luby et al., 2013 ; McLeod & Shanahan, 1993 ; Odgers et al., 2012).
  • À l’inverse, des pratiques parentales avec de faibles niveaux de stabilité et de bienveillance augmentent les risques suicidaires, la dépression, la consommation de drogues et la criminalité chez les enfants (Gilbert et al., 2009 ; Hildyard & Wolfe, 2002 ; Norman et al., 2012).
  • Les enfants qui subissent l’incarcération d’un parent présentent un risque plus élevé de connaître des difficultés sociales et scolaires, de souffrir de toxicomanie, de problèmes de santé mentale, de délinquance, de commettre des infractions à l’âge adulte et d’être incarcérés à leur tour (The Annie E. Casey Foundation, 2012 ; Makariev & Shaver, 2010 ; Murray & Farrington, 2005, 2006 ; Poehlmann et al., 2010 ; Travis et al., 2005 ; Wakefield & Wildeman, 2014).
  • Ces résultats plaident en faveur de la mise en œuvre d’interventions parentales en milieu carcéral qui tentent d’améliorer les connaissances, la sensibilité et la réactivité parentales ; de réduire le stress des parents ; d’améliorer les pratiques parentales ; et, globalement, d’améliorer les résultats émotionnels et comportementaux des enfants (Troy et al., 2018). » Henson 2020

Henson y developpe l’idée qu’on ne peut enseigner la parentalité « comme si de rien n’était » derrière les barreaux. La prison impose des contraintes structurelles et identitaires qui modifient en profondeur l’expérience parentale. L’isolement, la perte d’autonomie et la redéfinition de soi comme « détenu » plutôt que « parent » génèrent frustration et impuissance (Arditti, 2016 ; Dyer, 2005). Ignorer ce contexte conduit à des programmes inadaptés, et finalement peu efficaces.

Contexte

Les recherches démontrent que la qualité de la relation parent-enfant constitue un facteur déterminant du développement psychosocial de l’enfant. À l’inverse, l’incarcération d’un parent est associée à un ensemble de risques : troubles émotionnels, difficultés scolaires, comportements délinquants, transmission intergénérationnelle de l’incarcération.

Les PBPPs visent donc à :

  • améliorer les compétences parentales,
  • réduire le stress parental,
  • favoriser les liens affectifs,
  • et in fine limiter la récidive et les effets délétères pour les enfants.

Cependant, comme le montrent Henson et ses collègues, la plupart des PBPPs reproduisent des modèles standardisés, souvent dérivés de populations blanches et de classe moyenne. Ils abordent peu ou pas les réalités spécifiques de la vie en détention : pauvreté structurelle, distance géographique, surveillance constante, conflits avec l’autre parent, etc.

Le programme FACT 

Le cas étudié par Henson est le programme Fathers and Children Together (FACT), mis en place dans une prison de Pennsylvanie. Sa particularité est d’avoir été créé par des détenus eux-mêmes, en particulier des condamnés à perpétuité. Il repose sur un financement autonome (par des ventes de gâteaux organisées à l’intérieur) et sur un engagement bénévole.

Le programme dure 12 semaines au total, divisé en deux phases principales, suivies d’une cérémonie de remise de diplômes. Les sessions se déroulent dans une salle de classe lumineuse avec fenêtres et plantes, disposées en cercle pour favoriser l’égalité et la connexion (pas de structure hiérarchique). L’approche pédagogique met l’accent sur la facilitation et la discussion interactive plutôt que sur des conférences, encourageant les participants à apprendre les uns des autres.

Phase 1 : 6 Semaines de Sessions Parentales (2-3 heures par session, une fois par semaine)

Ces sessions théoriques et interactives enseignent des compétences parentales tout en intégrant le contexte carcéral. Les thèmes sont :

    • Semaine 1 : The Impact of a Fatherless Household (L’Impact d’un Foyer sans Père) : Discussion sur les effets émotionnels et sociaux de l’absence paternelle, en lien avec l’isolement carcéral.
    • Semaine 2 : Accountability and Responsibility (Responsabilité et Reddition de Comptes) : Enseignement de la prise de responsabilité pour ses actions passées, y compris les impacts sur la famille et la communauté.
    • Semaine 3 : Attachment and Bonding (Attachement et Lien Affectif) : Stratégies pour cultiver des liens émotionnels malgré la séparation physique.
    • Semaine 4 : The Importance of Education (L’Importance de l’Éducation) : Promotion de l’éducation comme outil de guidance parentale et de modélisation positive.
    • Semaine 5 : Self-Love and Self-Worth (Amour de Soi et Estime de Soi) : Développement de l’estime personnelle pour mieux soutenir les enfants.
    • Semaine 6 : Positive and Negative Reinforcement (Renforcement Positif et Négatif) : Techniques de gestion du comportement enfantin adaptées aux interactions limitées (appels, lettres, visites).

Éléments Transversaux :

    • Confidentialité stricte pour créer un espace sûr et encourager la vulnérabilité.
    • Redéfinition de la paternité : Au-delà du rôle de « fournisseur financier » (impossible en prison, avec un salaire moyen de 0,30 USD/heure), vers un rôle émotionnel, éducatif et de soutien (guide, enseignant, soignant).
    • Invitations occasionnelles de diplômés réinsérés pour partager des expériences post-libération.

Phase 2 : 6 Semaines de Visites Père-Enfant (une fois par semaine)

Ces six semaines de visites père-enfant, organisées dans un cadre favorisant le contact physique, le partage d’un repas et des activités communes, constituent un levier central de mise en pratique des apprentissages. Des activités parallèles sont proposées aux mères et aux aidants afin de réduire la conflictualité co-parentale et de créer un réseau de soutien.

Ces visites appliquent les leçons apprises, dans une salle de classe pour favoriser l’intimité. Elles incluent :

    • Repas partagé avec l’enfant.
    • Contacts physiques autorisés : Embrassades, tenue de mains (rares en visites standard).
    • Activités artistiques (en partenariat avec une organisation communautaire locale) pour briser la glace (premières semaines).
    • Session « Air It Out » (Déballer Tout) : Les enfants expriment ouvertement leurs sentiments sur l’incarcération de leur père, favorisant la catharsis et l’empathie.

Focus sur l’utilisation des outils disponibles : Appels téléphoniques, lettres, et visites pour maintenir le lien.

Cérémonie de Remise de Diplômes (Semaine 13)

    • Réunit pères, enfants et autres aidants familiaiux .
    • Inclut des promesses publiques des pères envers leurs enfants (ex. : engagement à être présent émotionnellement).
    • Photos et interactions (embrassades, rires), marquant la fin du programme avec une note émotive (joie et tristesse).

Soutien aux aidants familliaux (Parallèle aux Visites)

  • Événements communautaires pour les mères/tuteurs : Dîners, activités de soutien pour bâtir un réseau de femmes dans des situations similaires.
  • Thèmes similaires aux sessions paternelles : Amour de soi, impact d’un foyer sans père, compassion, empathie et confiance pour réduire le « gatekeeping maternel » (refus d’accès à l’enfant).

Impact et Approche Contextuelle

Le programme aborde explicitement les barrières carcérales pour renforcer la légitimité et l’engagement :

  • Isolement : Création d’une « famille d’hommes » via discussions et soutien mutuel, étendu au-delà des sessions.
  • Restrictions Financières : Redéfinition de la masculinité pour valoriser le rôle émotionnel.
  • Engagement Limité : Outils pour maximiser les interactions restreintes.
  • Relations Coparentales : Promotion de la communication empathique et de la responsabilité.

Les participants rapportent anecdotiquement des impacts positifs : Soutien communautaire, redéfinition de la paternité, et engagement familial accru.

Résultats

Les données collectées (observations participantes, entretiens, focus groups, analyses documentaires) mettent en évidence plusieurs effets majeurs :

  • Réduction de l’isolement : les participants développent un sentiment d’appartenance et de soutien mutuel.
  • Redéfinition de la paternité : passage d’une conception centrée sur la fonction de « pourvoyeur financier » à une paternité fondée sur la présence affective, l’écoute et l’accompagnement.
  • Renforcement du lien familial : amélioration de la communication avec les enfants, augmentation des gestes d’affection, reconnaissance par les enfants de la transformation de leurs pères.
  • Amélioration des relations co-parentales : apprentissage de l’empathie envers les mères et mise en place de dialogues plus constructifs.

Implications opérationnelles

Henson conclut que l’efficacité des PBPPs ne peut être évaluée uniquement à l’aune de la transmission de compétences parentales génériques. Leur pertinence contextuelle est déterminante :

  • Conception participative : les programmes doivent être construits avec les détenus, et non seulement pour eux, afin d’intégrer les besoins réels.
  • Ancrage dans le quotidien carcéral : traiter directement les obstacles spécifiques (isolement, manque de ressources, restrictions de contact, conflits familiaux).
  • Approche holistique : inclure non seulement le parent incarcéré, mais aussi les enfants et les autres figures parentales.
  • Effets systémiques attendus : au-delà du bénéfice immédiat pour les familles, de tels dispositifs contribuent à la réduction de la récidive et à une meilleure réinsertion post-carcérale.

L’étude de FACT illustre une thèse plus générale : un programme parental ne peut être efficace que s’il « rencontre les pères là où ils sont », c’est-à-dire dans leur réalité de vie derrière les murs. Pour la criminologie, cela rappelle l’importance d’une approche contextualisée et participative des interventions, afin de dépasser les modèles normatifs et de soutenir réellement les familles touchées par l’incarcération.

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