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Détenus à besoins spécifiques : principes, défis et recommandations opérationnelles

septembre 21st, 2025 | Publié par crisostome dans CRIMINOLOGIE | INTERNATIONAL | PRISON

Le Handbook on Prisoners with Special Needs publié par l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (UNODC) en 2009 constitue un document de référence pour l’élaboration de politiques pénitentiaires respectueuses des droits humains. Il identifie plusieurs groupes de détenus vulnérables, définit leurs besoins spécifiques, et propose des cadres normatifs et pratiques pour garantir que ces détenus bénéficient d’un traitement équivalent à celui des citoyens dans la communauté, sans discrimination.

Groupes de détenus à besoins spécifiques

Le manuel distingue huit catégories principales de détenus présentant des vulnérabilités ou des besoins particuliers. Ces groupes ne sont pas exclusifs mais souvent chevauchants :

  1. Personnes en situation de handicap physique
  2. Personnes âgées
  3. Minorités ethniques, peuples autochtones
  4. Détenus étrangers
  5. Personnes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuel·le·s, transgenres)
  6. Jeunes détenus
  7. Personnes malades, notamment maladies chroniques ou terminales
  8. Personnes avec troubles de santé mentale

Chaque groupe est caractérisé par des types spécifiques de besoins — santé physique, soins psychiatriques, adaptations de l’environnement carcéral, etc.

Normes internationales et principes directeurs

Normes applicables

Le manuel se réfère à plusieurs instruments internationaux qui codifient les droits des détenus à besoins spécifiques :

  • La Convention relative aux droits des personnes handicapées (CRPD), notamment l’article 25 sur le droit à un niveau de soins médicaux équivalent à celui assuré à la population générale.
  • Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui garantissent le droit à la non-discrimination et à la santé.
  • Recommandations du Conseil de l’Europe, comme la Recommandation R (98) 7 sur les aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en prison, particulièrement applicable aux détenus âgés ou handicapés.

Principes directeurs

Le manuel souligne plusieurs principes fondamentaux que tout système pénitentiaire devrait adopter :

  • Évaluation à l’admission : dépistage systématique des besoins médicaux, psychologiques et physiques dès l’entrée en prison.
  • Approche individualisée : les plans de traitement et d’aménagement doivent être personnalisés et réévalués régulièrement, car les besoins évoluent avec le temps.
  • Équivalence des soins : les conditions de santé, soins et traitement doivent être comparables à ceux disponibles à l’extérieur.
  • Non-discrimination et respect de la dignité : nul détenu ne doit être pénalisé du fait de son handicap, de son orientation sexuelle, de sa nationalité ou autre statut.
  • Formation et professionnalisation du personnel : le personnel pénitentiaire (garde, santé, encadrement) doit être formé pour détecter, comprendre et adapter les interventions.
  • Alternatives à l’incarcération : pour les cas de handicaps sévères, de pathologies graves ou de personnes âgées, l’incarcération doit être envisagée en dernier recours.

Exigences opérationnelles : ce que doit mettre en œuvre un système pénitentiaire efficace

Voici les principales recommandations tirées du manuel, en vue d’une application concrète dans les prisons :

1. Procédures d’admission et d’évaluation

  • Mettre en place un dépistage systématique dès l’admission : vérification de l’état de santé physique, mental, des capacités sensorielles, statut migratoire, orientation sexuelle, langue parlée, etc.
  • Établir des outils standardisés de diagnostics/pré-évaluations, incluant antécédents médicaux, handicap, traitements en cours, etc.
  • Assurer le suivi et la réévaluation au cours de la détention, car les conditions d’incarcération peuvent aggraver ou révéler de nouveaux besoins.

2. Aménagement matériel et infrastructures

  • Adapter l’architecture : accès pour fauteuils roulants, rampes, mains courantes, reposoirs, adaptation des toilettes, douches, lits, etc.
  • Mettre en place des installations auditives et visuelles : aides auditives, lunettes, supports de communication adaptés (par exemple pour prisonniers malvoyants ou malentendants).
  • Veiller à l’hygiène, la nutrition, la possibilité d’exercice physique adapté et d’activités stimulantes, éducatives ou sociales.

3. Services de santé

  • Offrir des soins de santé physique et mentale équivalents à ceux du système public. Comprendre les maladies chroniques, les troubles mentaux, les besoins spécifiques liés aux handicaps, à l’âge ou aux pathologies terminales.
  • Disposer d’un personnel multidisciplinaire : médecins, infirmiers, psychologues, spécialistes (gériatres, spécialistes des handicaps etc.).
  • Faciliter l’accès à des soins externes lorsque la prison ne peut les assurer (transferts, partenariats avec hôpitaux).

4. Gestion des populations vulnérables

  • Garantir la sécurité : éviter les violences, discriminations, abus, victimisation, surtout pour personnes LGBT, détenus étrangers, personnes âgées ou handicapées.
  • Adapter le régime de détention : classification, affectation des quartiers, possibilités de visites, facilités de contact avec la famille, durée et modalités des visites, soutien linguistique si nécessaire.
  • Assurer le respect culturel et religieux : alimentation, rites, langue, coutumes, etc.

5. Alternatives et politiques de sortie

  • Développer des mesures alternatives à la détention pour les personnes présentant des handicaps sévères, des maladies graves, ou les personnes âgées pour lesquelles la détention peut être disproportionnée.
  • Préparer la libération dès l’entrée : continuité des soins, aides en matière sociale, logement, insertion, soutien psychologique.

Défis et limites

Le manuel souligne plusieurs défis persistants, que les professionnels doivent anticiper :

  • Les ressources limitées : manque de personnel formé, de structures spécialisées, de budget pour les aménagements physiques ou les soins spécialisés.
  • La surpopulation carcérale : rend plus difficile la mise en œuvre d’aménagements adaptés ou la séparation des détenus vulnérables.
  • Les contraintes légales et administratives : certaines législations nationales peuvent restreindre l’accès à certaines mesures ou aux soins spécialisés.
  • La stigmatisation et le manque de compréhension : les détenus peuvent ne pas déclarer leurs besoins (ex. LGBT, handicap mental) par peur de représailles ou par honte; le personnel peut manquer de formation.
  • Les disparités entre juridictions : les standards sont souvent fixés internationalement, mais leur traduction en pratiques varie largement selon le pays, le type de prison, les budgets, la structure administrative.

Implications pour les professionnels de la justice

Pour les magistrats, les responsables de l’administration pénitentiaire, les services de santé en prison, et les décideurs politiques :

  • Intégrer les principes du manuel dans les normes nationales : lois, règlements, règlements intérieurs des prisons.
  • Former le personnel à la diversité des besoins (santé mentale, handicap, sexualité, âge, origine) non seulement dans les services médicaux mais dans la direction, la garde, etc.
  • Mettre en place des diagnostics systématiques à l’admission : un outil de dépistage universel pour identifier les cas nécessitant un suivi particulier.
  • Allouer des budgets dédiés pour les adaptations matérielles et infrastructures spécialisées, ainsi que pour des partenariats avec le système de santé de la communauté.
  • Surveiller et évaluer : collecter des données sur les détenus à besoins spécifiques, les traitements, les résultats (santé, sécurité, récidive, réinsertion), pour améliorer les politiques.

Le Handbook on Prisoners with Special Needs de l’UNODC offre un cadre robuste, fondé sur les principes des droits humains, pour garantir que les populations les plus vulnérables en prison ne soient pas ignorées, maltraitées ou exclues. Pour les professionnels de la justice, il propose non seulement des principes normatifs mais aussi des pistes concrètes pour adapter les pratiques pénitentiaires aux réalités complexes des détenus ayant des besoins spécifiques. En adoptant une approche holistique, individualisée et équilibrée, il est possible d’agir de manière à préserver dignité, santé, sécurité et équité dans le système pénal.

Guide pratique : gérer les détenus à besoins spécifiques

1. Principes fondamentaux

  • Équivalence des soins : mêmes standards de santé qu’en communauté.
  • Non-discrimination : aucun traitement différencié fondé sur handicap, âge, orientation sexuelle, origine, etc.
  • Évaluation précoce : dépistage systématique des besoins dès l’admission.
  • Plans individualisés : suivi médical, psychologique et social adapté, révisé régulièrement.
  • Formation du personnel : sensibilisation obligatoire aux vulnérabilités spécifiques.
  • Alternatives à l’incarcération : privilégier la libération anticipée ou les mesures non privatives pour les cas graves (handicap lourd, maladie terminale, âge avancé).

2. Groupes prioritaires à identifier

  • Personnes âgées
  • Détenus avec handicap (moteur, sensoriel, intellectuel)
  • Personnes avec troubles de santé mentale
  • Détenus atteints de maladies chroniques ou terminales
  • Jeunes détenus
  • Personnes LGBT
  • Étrangers, minorités ethniques, peuples autochtones

3. Recommandations opérationnelles

Admission & suivi

  • Créer un outil standardisé de dépistage (santé physique, mentale, antécédents médicaux, statut social).
  • Réévaluer régulièrement, car l’incarcération peut aggraver les vulnérabilités.

Infrastructures

  • Adapter les bâtiments : rampes, sanitaires accessibles, lits adaptés.
  • Prévoir des aides auditives, visuelles et outils de communication.

Santé

  • Garantir un accès immédiat aux soins spécialisés (médecins, psychologues, psychiatres).
  • Prévoir transferts vers hôpitaux civils si nécessaire.

Sécurité et dignité

  • Protéger contre violences et discriminations, notamment pour les personnes LGBT ou étrangères.
  • Prendre en compte culture, langue et religion (alimentation, rituels, soutien spirituel).

Réinsertion et alternatives

  • Préparer la sortie dès l’entrée (continuité des soins, logement, insertion).
  • Prioriser mesures alternatives (aménagements de peine, libérations conditionnelles) pour les personnes âgées, gravement malades ou lourdement handicapées.

4. Outils pour les juges et décideurs

  • Inclure les besoins spécifiques dans les évaluations de peine.
  • Suivre des indicateurs : nombre de détenus vulnérables identifiés, accès aux soins, violences subies, taux de réinsertion.
  • Allouer un budget dédié : infrastructures adaptées, partenariats avec les services de santé communautaires.

Checklist pratique : Détenus à besoins spécifiques

1. Évaluation à l’admission (arrivants)

☐ Dépistage santé physique (handicap, maladies chroniques, dépendances)
☐ Dépistage santé mentale (troubles psychiatriques, vulnérabilités émotionnelles)
☐ Identification des besoins sensoriels (vue, audition, langage)
☐ Vérification de l’âge avancé ou fragilité physique
☐ Identification de l’orientation sexuelle / identité de genre (confidentialité absolue)
☐ Vérification du statut juridique et linguistique (étranger, minorité, barrière de langue)

2. Aménagement matériel

☐ Accès pour fauteuils roulants (rampes, barres d’appui, cellules adaptées)
☐ Sanitaires adaptés (toilettes/douches accessibles)
☐ Mobilier ajusté (lits, sièges, équipements médicaux)
☐ Fourniture d’aides techniques (lunettes, prothèses, appareils auditifs)

3. Soins et suivi médical

☐ Accès équivalent aux soins médicaux et psychiatriques que dans la communauté
☐ Plans de traitement individualisés et mis à jour régulièrement
☐ Suivi spécialisé (gériatrie, psychiatrie, maladies chroniques)
☐ Procédure de transfert rapide vers un hôpital civil si nécessaire

4. Protection et dignité

☐ Placement en détention adapté (éviter surpopulation et violences)
☐ Protection spécifique des personnes LGBT et autres groupes vulnérables
☐ Respect des cultures, langues et religions (repas, pratiques, interprètes)
☐ Signalement et suivi de tout cas de victimisation ou discrimination

5. Réinsertion et alternatives

☐ Préparer la sortie dès l’admission (plan social, logement, soins)
☐ Assurer la continuité des traitements après libération
☐ Prioriser mesures alternatives (libération conditionnelle, aménagements de peine) pour :

  • détenus âgés,
  • gravement malades,
  • lourdement handicapés.

6. Formation et organisation

☐ Tout le personnel est formé aux besoins spécifiques
☐ Données régulièrement collectées (profil des détenus, accès aux soins, incidents)
☐ Budget identifié pour infrastructures adaptées et partenariats santé

Rappel clé : Chaque détenu doit recevoir un traitement équivalent à celui de la communauté, sans discrimination. L’approche doit être proactive, centrée sur la dignité et la sécurité.

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