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Les randonnées (marches éducatives) comme outil de réinsertion pour jeunes délinquants?

septembre 21st, 2025 | Publié par crisostome dans MINEURS

La prise en charge des jeunes délinquents constitue un enjeu majeur des politiques criminelles européennes, particulièrement face aux taux élevés de récidive associés aux mesures privatives de liberté traditionnelles. L’article de Koenig et Knospe (2021) « Learning walks as a chance of reintegration for young offenders in three countries of Central Europe: Belgium, France, and Germany » présente une analyse comparative d’une approche alternative innovante basée sur la marche de longue distance comme méthode socio-pédagogique.

Cette étude s’appuie sur le projet européen Erasmus+ « Between Ages: Network for Young Offenders and NEET » (2015-2018), qui a permis de comparer trois modèles distincts de marches éducatives mis en œuvre en Belgique, en France et en Allemagne.

La résilience comme facteur protecteur

Les auteurs définissent la résilience comme « la capacité à surmonter le stress ou l’adversité, une capacité qui peut se développer au fil du temps par les interactions entre une personne et son environnement ». Cette approche s’inscrit dans une perspective développementale qui considère la résilience comme un processus dynamique d’adaptation, variable selon les contextes et les situations.

Wustmann (2005) identifie seize ressources constitutives de la résilience, notamment :

  • l’auto-efficacité,
  • le contrôle interne,
  • l’estime de soi,
  • la capacité d’autorégulation,
  • l’optimisme,
  • les comportements d’adaptation flexibles,
  • les ressources de santé physique,
  • les compétences de résolution de problèmes,
  • et l’orientation vers les objectifs.

Application aux jeunes délinquants

L’utilisation du concept de résilience dans le contexte de la délinquance juvénile repose sur le postulat que les comportements déviants constituent souvent une réaction à un environnement surchargé plutôt qu’une décision consciente. Cette perspective permet d’envisager des interventions axées sur le renforcement des ressources personnelles plutôt que sur la seule répression.

Analyse comparative des trois modèles

Caractéristiques structurelles

Les trois modèles présentent des variations significatives dans leur mise en œuvre :

  • Modèle allemand : Intervention de courte durée (5 jours, 80 km) avec des groupes de 6 à 10 jeunes accompagnés par des travailleurs sociaux professionnels. L’approche intègre des unités de formation éthique et des travaux d’utilité publique.
  • Modèles belge et français : Interventions de longue durée (3 mois, 1600-1800 km) avec un accompagnement individuel par des guides bénévoles formés. L’accent est mis sur l’expérience de marche proprement dite et l’accompagnement relationnel.

Différences méthodologiques

La distinction fondamentale réside dans la relation d’accompagnement. Alors que le modèle allemand maintient un cadre professionnel traditionnel, les modèles belge et français privilégient une relation de pair à pair, où le guide volontaire se positionne au même niveau que le jeune, représentant symboliquement la société civile.

Évaluation des effets sur le développement de la résilience

Méthodologie d’analyse

Les auteurs ont procédé à une synthèse qualitative des recherches existantes selon la méthode du « Qualitative Research Synthesis ». Cette approche permet d’analyser les données qualitatives et quantitatives disponibles en relation avec les nouvelles questions de recherche centrées sur la résilience.

Ressources de résilience développées

L’analyse révèle que sept ressources sur seize font l’objet d’une attention particulière dans les trois projets :

  1. Auto-efficacité : Renforcée par l’expérience de maîtrise lors du dépassement des difficultés rencontrées
  2. Contrôle interne : Développé par la responsabilisation face aux résultats obtenus
  3. Estime de soi positive : Construite par des expériences positives contrastant avec la stigmatisation habituelle
  4. Capacité d’autorégulation : Exercée par la gestion des besoins immédiats face aux objectifs à long terme
  5. Attitude optimiste : Cultivée par la nécessité de croire en l’atteinte de l’objectif
  6. Comportements d’adaptation flexibles : Expérimentés dans un environnement protégé
  7. Ressources de santé physique : Développées par l’exercice quotidien

Différences selon les modèles

Les modèles belge et français favorisent davantage le développement des compétences de résolution de problèmes et d’orientation vers les objectifs, du fait de la complexité logistique de la marche de longue distance. Le modèle allemand se concentre plutôt sur les capacités d’autorégulation et la formation morale.

Résultats empiriques et indicateurs de réussite

Taux de completion

Les données montrent des variations significatives dans les taux de completion : 95% pour le modèle allemand (5 jours), 70% pour le modèle belge et 50% pour le modèle français (3 mois). Ces différences s’expliquent principalement par la durée et l’intensité des interventions.

Évolution des situations de vie

En Belgique, une étude longitudinale révèle une transformation notable des conditions de vie : 60% des participants vivaient en institution fermée avant la marche, contre seulement 10% deux mois après. Cette évolution suggère une amélioration de l’autonomie et des capacités d’adaptation sociale.

Évaluation qualitative à long terme

En France, une évaluation réalisée 6 à 12 mois après l’intervention indique une amélioration significative chez plus de 60% des participants ayant terminé la marche complète. Les effets positifs sont d’autant plus marqués que la durée de participation a été longue (60 jours ou plus).

Analyse critique et limites méthodologiques

Faiblesses de l’évaluation

L’étude présente plusieurs limites méthodologiques importantes :

  • Absence de groupe témoin : L’auto-sélection des participants (candidature volontaire) introduit un biais de motivation préexistante
  • Échantillons réduits : La nature individuelle ou en très petits groupes rend difficile la généralisation statistique
  • Évaluation différée : Les difficultés de suivi à long terme limitent l’évaluation des effets durables
  • Variabilité des mesures : L’absence de protocoles d’évaluation standardisés complique les comparaisons

Questions théoriques non résolues

L’article ne clarifie pas suffisamment les mécanismes causaux entre l’expérience de marche et le développement de la résilience. La distinction entre corrélation et causalité reste problématique, d’autant que de multiples facteurs contextuels peuvent influencer l’évolution des participants.

Enjeux de validation empirique

La validation du modèle théorique proposé nécessiterait des études contrôlées avec randomisation, des mesures standardisées de la résilience, et un suivi longitudinal systématique. Ces exigences méthodologiques se heurtent aux contraintes pratiques et éthiques du domaine.

Implications pour les politiques criminelles

Alternative aux mesures privatives de liberté

Les résultats suggèrent que les marches éducatives constituent une alternative viable à l’incarcération, particulièrement considérant que plus de 60% des jeunes incarcérés en Allemagne récidivent après leur libération. Cette approche évite les effets criminogènes de la prison tout en proposant une intervention structurée.

Conditions de réussite

L’analyse identifie plusieurs facteurs critiques pour l’efficacité des interventions :

  1. Motivation initiale : La candidature volontaire apparaît comme un prérequis essentiel
  2. Accompagnement relationnel : La qualité de la relation avec le guide/éducateur conditionne largement les résultats
  3. Durée d’intervention : Les effets semblent proportionnels à la durée de participation
  4. Suivi post-intervention : L’absence d’accompagnement après la marche constitue une faiblesse majeure

Intégration dans le système judiciaire

L’institutionnalisation de ces approches nécessite une évolution des cadres législatifs et réglementaires. Les réformes du droit pénal des mineurs depuis 1990 ont ouvert cette possibilité, mais l’intégration effective reste limitée par la résistance institutionnelle et les contraintes budgétaires.

Perspectives d’amélioration et recommandations

Développements méthodologiques nécessaires

Pour renforcer la crédibilité scientifique de cette approche, plusieurs améliorations sont indispensables :

  • Développement d’outils d’évaluation standardisés de la résilience
  • Mise en place d’études longitudinales avec groupes témoins
  • Harmonisation des protocoles d’intervention et d’évaluation
  • Formation spécialisée des accompagnateurs

Articulation avec d’autres interventions

L’efficacité des marches éducatives pourrait être renforcée par leur articulation avec d’autres interventions : suivi psychologique, formation professionnelle, médiation familiale, ou programmes de développement des compétences sociales.

 

Cette analyse comparative révèle le potentiel des marches éducatives comme outil de réinsertion, tout en soulignant la nécessité d’approfondissements méthodologiques. L’approche par la résilience offre un cadre théorique pertinent pour comprendre les mécanismes d’action, mais sa validation empirique reste incomplète.

Pour les professionnels de la justice, cette étude illustre l’importance d’explorer des alternatives aux réponses punitives traditionnelles, particulièrement pour les jeunes délinquants dont les parcours déviants s’inscrivent souvent dans des dynamiques développementales complexes. Cependant, l’implémentation de telles approches requiert un changement paradigmatique significatif, passant d’une logique répressive à une logique restauratrice et développementale.

Référence : Koenig, K., & Knospe, Y. (2021). Learning walks as a chance of reintegration for young offenders in three countries of Central Europe: Belgium, France, and Germany. International Journal of Educational Development, 80, 102300.

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