Un article récent de McClanahan et al. (2025) propose une avancée méthodologique majeure en criminologie : l’usage de la réalité virtuelle (VR) pour étudier la prise de décision délinquante en contexte. Dans cette étude, 160 détenus incarcérés pour cambriolage en Pennsylvanie ont été immergés dans un quartier virtuel, conçu pour manipuler certains attributs environnementaux des habitations (présence d’une voiture, d’arbustes, de panneaux, etc.). L’objectif : observer comment ces caractéristiques modifient la perception des risques (probabilité d’être vu ou arrêté), des récompenses (valeur perçue du butin) et, en conséquence, l’attractivité criminelle de la cible.
Les résultats confirment les postulats des théories de l’opportunité : l’environnement influence directement la décision de commettre une infraction. Fait marquant, la proficiency criminelle joue un rôle modérateur : les cambrioleurs expérimentés perçoivent moins de risques et se montrent donc plus enclins à agir. En combinant données quantitatives et protocoles verbaux (« think aloud »), l’étude offre accès au mécanisme perceptif reliant environnement et choix criminel.
Implications pour la prévention situationnelle
Ce travail illustre la nécessité de prendre en compte les perceptions des délinquants pour concevoir des stratégies efficaces de prévention (éclairage public, signalétique de surveillance, aménagement urbain). Il rappelle aussi que les politiques de dissuasion ne peuvent être réduites à une simple augmentation de contrôles : elles doivent être pensées en termes de signaux environnementaux crédibles aux yeux des potentiels auteurs.
Extension : la « greenification » des prisons
Par analogie, ces résultats interpellent les débats actuels sur la transformation écologique des prisons. L’introduction d’éléments naturels (espaces verts, jardins, lumière naturelle) ne relève pas uniquement du bien-être ou de la réduction de l’empreinte carbone. Elle peut aussi modifier les perceptions et comportements des personnes incarcérées : baisse du stress, réduction des tensions, amélioration des dynamiques sociales. Dans une perspective de crime prevention through environmental design (CPTED), la « prison verte » pourrait constituer un levier double — à la fois écologique et criminologique — en agissant sur les perceptions quotidiennes des détenus et, à terme, sur leur rapport à la réinsertion.
Exemples de dispositifs écologiques en prison
- Espaces verts et jardins thérapeutiques : certaines prisons scandinaves et néerlandaises ont intégré des potagers cultivés par les détenus, avec des effets positifs sur la coopération, le sens des responsabilités et la réinsertion.
- Éclairage naturel et ventilation : l’architecture « verte » cherche à maximiser la lumière du jour et l’aération, réduisant ainsi l’usage de dispositifs artificiels et améliorant la santé mentale.
- Matériaux durables et isolation : au-delà de l’efficacité énergétique, l’usage de matériaux naturels contribue à créer un environnement perçu comme moins hostile, rompant avec l’austérité carcérale traditionnelle.
- Projets de production énergétique interne (panneaux solaires, recyclage de l’eau) : ils s’inscrivent dans une logique de durabilité, tout en pouvant être associés à des formations professionnelles qualifiantes pour les détenus.
Enjeux criminologiques
La « greenification » des prisons n’est pas qu’un geste écologique ou humaniste ; elle peut constituer un outil de gestion carcérale et de prévention secondaire. En modifiant les perceptions quotidiennes, elle contribue à :
- Réduire les comportements agressifs et les incidents disciplinaires, en abaissant le niveau de stress.
- Renforcer le sentiment de dignité et d’appartenance, des facteurs reconnus dans les approches de la defensible space theory et de la CPTED (Crime Prevention Through Environmental Design).
- Favoriser la réinsertion, en donnant aux détenus des compétences transférables (horticulture, énergies renouvelables).
Vers une politique pénitentiaire durable
L’analogie avec la recherche de McClanahan et al. est éclairante : si l’environnement urbain influence la décision criminelle, l’environnement carcéral peut, lui aussi, orienter les dynamiques sociales et comportementales. Concevoir des prisons « vertes » revient à investir dans une double prévention : prévention des risques écologiques et prévention de la récidive.
Référence :
McClanahan, W. P., Nagin, D. S., Otte, M., Wozniak, P., & van Gelder, J.-L. (2025). How environmental features and perceptions influence the perceived risks and rewards of criminal opportunities. Criminology, 1–28. https://doi.org/10.1111/1745-9125.12401

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