Alors que les taux d’incarcération continuent d’augmenter dans de nombreux pays, il est urgent de renouveler les approches visant à réduire la récidive et à améliorer les conditions de détention. L’article de Newson et al. (2024) (A soccer-based intervention improves incarcerated individuals’ behaviour and public acceptance through group bonding) étudie une intervention inédite fondée sur le sport collectif — le projet Twinning — et montre que la création de liens de cohésion de groupe peut produire des effets positifs sur le comportement des personnes incarcérées ainsi que sur la perception que la société a de leur réinsertion.
Le Twinning Project (projet de jumelage ») est un partenariat entre le HM Prison and Probation Service (HMPPS) et des clubs de football professionnels dont l’objectif est de jumeler chaque prison d’Angleterre et du Pays de Galles avec un club de football professionnel local. L’objectif est d’impliquer environ 48 détenus par an dans chacune des 122 prisons et établissements pénitentiaires pour jeunes délinquants d’Angleterre et du Pays de Galles dans des programmes basés sur le football afin d’améliorer leur santé mentale et physique, leur bien-être et d’obtenir une qualification qui les aidera à améliorer leurs chances dans la vie et à trouver un emploi à leur sortie de prison.
- Ce que nous savons 1. Statistiquement, la délinquance atteint son pic à 24 ans et diminue à partir de 40 ans.
- Les personnes qui ont des relations familiales et sociales stables sont moins susceptibles de récidiver.
- L’emploi et les opportunités sont les principaux moteurs de la motivation et de la valeur. Cela a un impact considérable sur leur propension à récidiver.
Comment cela se passe-t-il ? Des entraîneurs professionnels et le personnel des clubs de football, soutenus par les moniteurs de sport, dispensent conjointement aux détenus des formations accréditées et des qualifications axées sur l’employabilité afin de mieux les préparer à la vie après leur libération.
Ce type d’intervention suggère que le milieu pénal, souvent pensé sous l’angle du contrôle, peut aussi devenir un terrain de transformations sociales internes. En mobilisant les dynamiques de groupe, elle ouvre une voie complémentaire aux approches traditionnelles centrées sur la punition ou la surveillance.
Le projet Twinning, méthodologie et résultats
- Le Twinning Project vise à favoriser l’émergence de liens sociaux positifs entre détenus.
- Le raisonnement sous-jacent est que, dans un milieu clos, la création d’identités collectives et de cohésion peut agir sur les comportements « normatifs » (coopération, respect des règles internes) et favoriser un climat institutionnel plus stable.
- L’étude comporte plusieurs volets :
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- Comparaison groupe intervention vs groupe contrôle (n = 676 participants dans le groupe intervention, comparés à 1 874 cas témoins) pour mesurer les effets comportementaux internes.
- Analyse longitudinale de la cohésion sociale dans le groupe d’intervention (n = 388), pour comprendre les mécanismes sociaux internes.
- Suivi post-libération pour la désistance et l’impact dans la communauté (n = 249), tant au Royaume-Uni qu’aux États-Unis, pour vérifier l’effet sur les trajectoires criminelles après la prison.
- Études sur la volonté d’embauche des anciens détenus menées via des échantillons en ligne au Royaume-Uni et aux États-Unis (n = 1 797), pour mesurer si le renforcement social interne correspond à une meilleure acceptation sociale externe.
Principaux résultats
- Amélioration du comportement en détention
Les participants au programme de football montrent des modifications comportementales significatives comparés aux témoins : diminution des infractions internes, meilleure discipline, climat relationnel plus favorable. - Cohésion sociale comme mécanisme médiateur
L’augmentation des liens sociaux internes (identité de groupe, solidarité) est corrélée à l’amélioration du comportement. Les auteurs défendent que ce mécanisme est central : le sport devient un catalyseur de lien social et non une fin en soi. - Effet sur la désistance post-libération
Les analyses montrent que les participants au projet Twinning présentent des trajectoires de désistance (réduction de la récidive) supérieures à celles des témoins, toutes choses égales par ailleurs. - Acceptation sociale et opportunités d’emploi
Les résultats des études en ligne suggèrent que les personnes dans la communauté (employeurs potentiels) sont plus enclines à accepter les anciens détenus dont le profil intègre des éléments de cohésion sociale et une identité réintégrée. Autrement dit, l’effet du projet ne reste pas seulement intra-muros mais déborde dans l’espace social externe.
Implications pour les politiques pénales
Recentrer l’attention sur le social plutôt que le seul contrôle
Cette étude remet en lumière un concept peu exploré dans le débat pénal : le pouvoir du lien social en détention comme levier de changement. Plutôt que de considérer la prison comme un espace purement coercitif, le projet Twinning suggère que la construction de cultures internes positives peut contribuer à transformer le « système des incitations » à l’intérieur.
Mécanismes médiaux de la transformation
L’identification collective, la solidarité, la cohésion de groupe — stimulées via une activité sportive — apparaissent comme des médiateurs clés entre l’intervention et les transformations comportementales. En cela, l’étude rejoint des cadres théoriques issus de la psychologie sociale (identité sociale, fusion identitaire) que la criminologie gagne à mieux intégrer.
Continuum entre intérieur et extérieur
Un point particulièrement novateur est le lien démontré entre le renforcement social en détention et la réceptivité de la communauté post-libération. Cela rappelle que la prison ne peut être isolée du contexte externe : une politique pénale efficace doit intégrer le continuum interne-externe.
Conditions de généralisation et limites à anticiper
- L’étude est conduite au Royaume-Uni et aux États-Unis, dans des contextes institutionnels particuliers : prudence dans la transposition à d’autres systèmes pénitentiaires.
- Le sport, ici le football, fonctionne comme vecteur mais n’est pas universellement adapté (par contraintes d’infrastructure, de sécurité, de culture locale).
- Les effets à long terme (au-delà des premières années de libération) méritent un suivi plus étendu.
- Le succès dépend fortement de l’acceptation institutionnelle, du soutien des personnels, et de la cohérence avec d’autres mesures (éducation, formation, suivi post-libération).
Structure pratique pour une mise en œuvre
1.Phase pilote dans une unité carcérale sélectionnée
- Mettre en place un mini-projet sportif collectif (football, futsal) ou autre activité de groupe régulière, en parallèle à des aménagements verts (cour végétalisée, espaces de repos avec végétation).
- Associer les détenus à la conception (co-construction) pour renforcer l’appropriation.
2. Collecte de données avant-après
- Indicateurs quantitatifs (infractions internes, médiations, fréquentation des espaces communs)
- Enquêtes qualitatives (perceptions des détenus et du personnel sur le climat, les liens sociaux, la dignité)
- Suivi à moyen terme (comportement, réinsertion, récidive).
3. Pilotage adaptatif
- Ajustements selon les retours (espaces mal utilisés, tensions, contraintes logistiques)
- Communication transparente sur les objectifs — éviter les interprétations manipulatrices.
4. Extension graduée
- Si les résultats sont positifs, étendre le dispositif à d’autres unités/prisons, en adaptant aux spécificités locales (climat, architecture, effectifs).
- Intégrer le dispositif aux programmes de réinsertion : valoriser les compétences acquises (gestion d’espaces verts, animation de groupes, formation sportive) pour la sortie.
L’étude de Newson et al. (2024) ouvre un champ stimulant pour la justice pénale : la valorisation du lien social interne comme instrument de transformation institutionnelle. En mobilisant le sport pour créer de la cohésion, elle démontre qu’au-delà du contrôle, la prison peut devenir un lieu de reconstruction sociale.
Pour les professionnels de la justice, cette recherche invite à repenser la prison non seulement en termes de sécurité et de rigueur, mais aussi en termes de culture collective, d’identification sociale et de continuité avec la société extérieure. Une stratégie holistique qui combine cohésion sociale, accompagnement individuel et aménagement écologique offre un horizon prometteur.

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