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Culture, comparaison et criminologie : quand “la différence” masque plus qu’elle n’explique

octobre 12th, 2025 | Publié par crisostome dans INTERNATIONAL

Dans le champ de la criminologie, le terme culture revient de plus en plus dans les études comparatives. On l’invoque pour expliquer pourquoi des sociétés diffèrent dans leurs taux de criminalité, leurs systèmes de justice, leurs formes de contrôle social. Mais que recouvre exactement ce mot, et comment sont construites ces comparaisons ? Dans The Ultimate Difference: Interpreting and Using ‘Culture’ in Comparisons of Crime and Justice (2024), Laura Bui propose une analyse fouillée de la façon dont “culture” est utilisée, interprétée, parfois simplifiée – et comment cela peut refléter des biais, en particulier un biais centré sur les sciences criminologiques d’origine occidentale.

Principaux apports de l’article

1-Une méta-analyse qualitative quantitative (“scoping review”)

  • L’auteure a passé en revue 230 articles publiés dans des revues de criminologie entre 2001 et 2022, lesquels font des comparaisons internationales ou intergroupes et utilisent explicitement le terme culture (ou des dérivés).
  • Elle analyse non seulement la fréquence, mais les méthodes, les populations étudiées, et le sens donné à culture.

2. Culture = concept ambigu mais central

  • L’article montre que culture est souvent employé de façon vague, sans définition claire, ou comme “fourre-tout” pour désigner toute différence sociale, croyance, valeur ou pratique.
  • Il apparaît que certains groupes ou régions (notamment l’Asie de l’Est) sont “assignés” à des usages spécifiques de la culture (par exemple via la dimension individualisme-collectivisme), alors que d’autres contextes “occidentaux” utilisent plutôt culture pour parler de valeurs, norme ou idéaux démocratiques, croyances etc.

3. Biais occidental (Western-centric) dans l’usage de “culture”

  • Malgré la croissance des recherches menées dans ou sur des pays non occidentaux, beaucoup de travaux restent dirigés ou pensés selon les cadres théoriques, méthodologiques, ou normatifs issus de l’“Occident”.
  • Par exemple, la dimension culture “Individualisme vs Collectivisme” (I-C) est souvent utilisée pour décrire des sociétés d’Asie de l’Est comparées à l’Occident, mais peu de travaux dans l’Occident lui-même explorent de façon similaire les variations internes (classes sociales, régions, minorités, etc.).

4. Tendances dans les méthodes et les objets comparés

  • La majorité des études sont quantitatives.
  • Beaucoup de comparaisons sont inter-nationales (entre pays), moins nombreuses sont les comparaisons intra-nationales (par exemple entre groupes ethniques ou régions d’un même pays).
  • Les thèmes d’étude diffèrent selon la région : dans les pays occidentaux, les recherches portent souvent sur la prison, la peine, le contrôle pénal, alors que dans les pays d’Asie de l’Est, beaucoup d’études cherchent à tester ou adapter des théories criminologiques développées à l’Ouest.

Quelques exemples concrets

  • L’Asie de l’Est (Chine, Japon) est le contexte le plus fréquemment comparé avec l’“Occident” dans les études examinées, et souvent dans le but de voir si les théories criminologiques occidentales s’y appliquent ou non.
  • On constate aussi que “culture” est parfois simplement remplacée ou confondue avec “pays”, au lieu de définir ce qu’on entend par culture dans ce pays : est-ce la religion ? les valeurs sociales ? les normes légales ? les traditions locales ? etc.

L’article lui-même identifie ou suggère plusieurs limites et zones d’amélioration :

  • L’usage du terme culture reste trop souvent imprécis, ce qui peut biaiser les comparaisons et les conclusions.
  • Le fait que beaucoup d’études ne mesurent pas ou peu culture, mais l’évoquent seulement dans les introductions ou discussions, affaiblit la robustesse des résultats.
  • Le manque de variété dans les contextes “non occidentaux” comparés entre eux (i.e. comparaisons non Occident vs non Occident) est une lacune importante.
  • Le danger de “stéréotypes culturels” : quand on dit “la culture asiatique est collectiviste”, cela simplifie beaucoup, cela peut masquer des différences internes énormes (classes, genre, minorités, etc.).

Implications ?

  • Définir clairement “culture” : toujours expliciter quelle dimension de la culture est étudiée (valeurs, normes, croyances, pratiques, traditions, etc.).
  • Mesurer la culture quand c’est possible : ne pas se contenter de déclarer “ce pays a telle culture” mais utiliser des indicateurs, enquêtes, données qualitatives pour saisir ce qui dans la culture pourrait importer.
  • Faire des comparaisons plus nuancées : inclure des comparaisons internes aux pays, entre groupes minoritaires, régions, classes. Examiner la variation au sein plutôt que seulement entre “Occident / non-Occident”.
  • Éviter les cadres trop rigides / stéréotypés : remettre en question les hypothèses implicites (par exemple que “Occident = individualiste”, “Asie = collectiviste”), et admettre que les notions culturelles s’entremêlent, évoluent, sont hybrides.
  • Pour les politiques et interventions : s’assurer que les mesures de prévention, de justice pénale ou de réforme judiciaire tiennent compte non seulement de ce qui fonctionne dans un contexte “modèle” ou “exportable”, mais des contextes culturels diversifiés – ce qui peut exiger adaptation, co-conception locale, etc.

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