La surveillance communautaire — plus connue sous les formes de probation et de libération conditionnelle — est-elle vouée à être le parent pauvre des réponses pénales ? La criminologue Faye S. Taxman , dans l’article intitulé To Be or Not To Be: Community Supervision Déjà Vu, explore les promesses non tenues et les espoirs renouvelés autour de la supervision des personnes placées en milieu ouvert.
De la sanction à la réhabilitation : une lente transition
Depuis les années 1970, la supervision communautaire a évolué d’une logique centrée sur la réhabilitation à un modèle axé sur le contrôle, en écho à un virage plus punitif de la justice pénale. Dans cette dynamique, les agents de probation sont souvent réduits à surveiller des conditions multiples (tests urinaires, interdictions diverses, respect des horaires), avec un effet limité sur la récidive.
Taxman rappelle que cette intensification des contrôles, incarnée par les programmes de supervision intensive, n’a pas tenu ses promesses : plus de contacts n’ont pas entraîné de meilleures trajectoires pour les personnes suivies, mais davantage de violations techniques et de retours en prison.
Une nouvelle génération de modèles hybrides
L’autrice documente l’émergence de modèles dits « principe-basés », qui intègrent à la supervision des pratiques de traitement : accompagnement des addictions, incitations positives, implication directe des agents dans le changement de comportement, etc. Des initiatives comme les tribunaux de la drogue ou le programme Break the Cycle illustrent ce tournant.
Le cœur de cette nouvelle approche ? Miser sur la relation entre l’agent et la personne suivie, et sortir de la logique punitive pure. Cela suppose une formation renforcée des agents à des outils comme l’entretien motivationnel, la fixation d’objectifs, ou encore l’utilisation de renforts positifs — autant d’éléments absents du modèle traditionnel.
Le défi de l’organisation : vers un changement systémique ?
Taxman insiste : pour que la supervision change réellement, il faut aller au-delà de la simple addition de programmes. Il s’agit de transformer la culture des agences de probation. Cela implique :
- une redéfinition du rôle des agents,
- des outils d’évaluation du risque et des besoins,
- une stratégie managériale pour soutenir le changement,
- une vision réaliste des objectifs (réduction partielle de la récidive, pas éradication totale).
Le passage à une supervision dite « evidence-based » (fondée sur les preuves) devient central : identifier les bons profils, offrir les bons services, évaluer les résultats. Le modèle Risk-Need-Responsivity (RBR) devient la boussole de cette transformation.
Réencadrer la mission : de la “sale besogne” à l’intervention valorisée
Inspirée des travaux sur les « métiers sales » (dirty work), Taxman propose trois leviers symboliques pour réhabiliter le travail des agents de probation :
- Reframing : redonner du sens au travail, le présenter comme protecteur de la société.
- Recalibrating : adopter des standards réalistes, comme viser une baisse de la récidive de 10 % plutôt qu’une utopie de 0 %.
- Refocusing : mettre en avant les aspects constructifs du travail, plutôt que le contrôle et la sanction.
Et maintenant ?
Avec plus de 6 millions de personnes sous contrôle judiciaire aux États-Unis (dont 70 % en milieu ouvert), l’enjeu est considérable. La supervision communautaire pourrait devenir un levier majeur de réduction de la récidive — à condition de repenser ses finalités et ses pratiques. La probation ne doit pas être un sous-produit de l’enfermement, mais une réponse pénale à part entière, intégrant soutien, responsabilisation et traitement. Le défi est autant organisationnel qu’éthique : sommes-nous prêts à faire confiance à ceux que la justice place sous surveillance, et à ceux qui les accompagnent ?
Faye S. Taxman est professeur à l’université George Mason. Elle est reconnue pour son travail dans le développement de modèles de systèmes de soins continus qui relient la justice pénale à d’autres systèmes de prestation de services, ainsi que pour la réorganisation des services de probation et de surveillance des libérations conditionnelles, et pour les modèles de changement organisationnel. Elle a mené une enquête organisationnelle à plusieurs niveaux sur les systèmes correctionnels et de traitement de la toxicomanie afin d’examiner l’utilisation des pratiques fondées sur des données probantes dans les établissements correctionnels et de traitement de la toxicomanie et les facteurs qui influent sur l’adoption de processus et d’interventions fondés sur des données scientifiques. Elle a réalisé plusieurs études qui examinent l’efficacité de divers modèles de transfert de technologie et de processus d’intégration du traitement et de la supervision. Dans une étude, elle explore l’utilisation de la gestion des contingences et des systèmes d’incitation pour les délinquants toxicomanes.
Ses travaux couvrent l’ensemble du système correctionnel, des prisons aux services correctionnels communautaires, en passant par les délinquants adultes et mineurs. Elle a bénéficié de trois R01 du National Institute on Drug Abuse et d’un accord de coopération. Elle a également reçu des fonds du National Institute of Justice, du National Institute of Corrections et du Bureau of Justice Assistance pour ses travaux. Elle a des « laboratoires » actifs avec son accord de 18 ans avec le Maryland Department of Public Safety and Correctional Services et son accord de quatre ans avec le Virginia Department of Corrections. Faye Taxman (2011) «Comment les systèmes pénitentiaires peuvent prévenir la criminalité future». Elle est l’auteur principal de « Tools of the Trade : A Guide to Incorporating Science into Practice », une publication du National Institute on Corrections qui fournit un guide pour la mise en œuvre de concepts scientifiques dans la pratique. Elle fait partie des comités de rédaction du Journal of Experimental Criminology et du Journal of Offender Rehabilitation. Elle a publié des articles dans le Journal of Quantitative Criminology, le Journal of Research in Crime and Delinquency, le Journal of Substance Abuse Treatment, le Journal of Drug Issues, Alcohol and Drug Dependence et Evaluation and Program Planning. En 2002, elle a reçu le prix de l’Université de Cincinnati décerné par l’Association américaine de probation et de libération conditionnelle pour ses contributions dans ce domaine. Elle est membre de l’Academy of Experimental Criminology et du Correctional Services Accreditation Panel (CSAP) d’Angleterre. En 2008, la division « Sentencing and Corrections » de l’American Society of Criminology lui a décerné le titre de « Senior Scholar ». Elle est titulaire d’un doctorat de la Rutgers University-School of Criminal Justice et d’une licence de l’université de Tulsa.
Si le lien est brisé: tools of the trade
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