[Les journées d’études des éducateurs pénitentiaires de l’AP de 1958 exposent les problémes de formation, de pratique des éducateurs pénitentiaires . Mais elles ont été également l’occasion d’un exposé du Dr LAFFON exposant les théories (datées) et les méthodes de prise en charge de l’époque concernant les prisonniers. On y parle observation, méthode d’intervention, distinctions subtiles en les regrets et les remords ou comment aborder les prisonniers aux « abords difficiles »… Mais ce qu’on peut y lire 64 plus tard sur le suicide, l’homosexualité, la masturbation est… parfois ahurissant, parfois choquant… mais trés éclairant sur l’époque… ]
Mardi 24 juin 1958: Résumé de l’exposé présenté par M. le Docteur LAFON
Médecin-Chef de la Section Henry COLLIN à l’hôpital psychiatrique de Ville juif
Problèmes psychopathologiques posés par les détenus
En cette matière, l ’éducateur est l ’assistant du médecin psychiatre de l ’établissement; il doit, par une observation particulière des manifestations psychopathologiques du sujet dont il communiquera les détails au praticien, permettre à celui-ci de mieux étayer son diagnostic et, éventuellement, d ’établir un traitement dont les effets seront suivis et contrôlés.
1— MÉTHODE D ’OBSERVATION
L’étude du dossier, du passé du sujet, ses antécédents, son milieu.
- L ’observation proprement
A ) L ’étude du dossier :
En premier lieu, il est bon d ’avoir une bonne connaissance du dossier. Certains crimes ou délits révèlent parfois une anomalie certaine.
Les antécédents mentaux, personnels, doivent être recherchés.
L ’hérédité ne se manifeste pas de façon frappante, le plus souvent, mais explique une certaine fragilité qui rend le sujet plus vulnérable lors d ’une attaque par la maladie (exemple fièvre typhoïde).
Les antécédents sociaux, la vie du milieu familial forment aussi une source intéressante de renseignements.
B) L ’observation proprement dite :
Elle est pratiquée d ’abord sur un sujet détenu en cellule. Cette méthode présente certains avantages : facilité des contacts, confiance, qui éliminent les réactions d ’amour-propre (plus précisément de «fausse honte»), l ’interaction du groupe. Mais aussi des inconvénients : une vue factice du sujet en raison du comportement artificiel qu’impose ce régime, ce qui peut fausser le jugement. En particulier : certains s’adaptent trop bien à ce régime. Trop passifs, trop indifférents, ils laissent présager des tendances schizoïdes qui peuvent s’aggraver et les conduire à la démence précoce. Certains sont tout simplement opportunistes. D ’autres réagissent, s’aigrissent, car le régime est éprouvant, surtout pour ceux qui ont des tendances psycho-pathologiques.
Le régime cellulaire est strict, disciplinaire; il fausse donc le comportement. A Villejuif, le malade isolé n ’a ni vin, ni alcool, ni possibilité matérielle d ’action indisciplinée. La « sagesse» est ainsi « obligatoire ». On ne peut en tirer aucune indication qui permette de présumer du comportement futur.
En conclusion, se méfier pendant cette période d ’une vue subjective du sujet qui pourra être démentie par la suite dans la vie du groupe.
Le délit : Les motifs que donne le détenu de son délit sont à noter. Cependant, personne n’accepte une dévalorisation totale; le détenu utilisera donc le plus souvent un système d’excuses pour la société, mais aussi pour lui-même, afin de se revaloriser à ses propres yeux. Il convient de ne pas démolir ce système brutalement mais, plus tard, lentement autant que possible, sans qu’il en ait conscience.
Les abords difficiles : Aborder les sujets difficiles par la bande, en les laissant venir eux-mêmes au sujet brûlant. Les faire écrire (correspondance, autobiographie, romans même). Ils se livrent assez facilement, inconsciemment. Les délirants surtout.
L ’observation visuelle, par le judas, est à prohiber. Elle est sans intérêt et déplaisante; elle n ’apporte rien à l ’observateur.
L ’observation en commun : Cette nouvelle période présente pour l ’observation quelques inconvénients, contrepartie des avantages de l ’isolement.
Le codétenu est un peu le confident naturel du sujet ; il échappe un peu à l ’observateur. Mais elle a l ’avantage de rendre plus objective l ’observation. Les faits journaliers; attitude au travail, goûts, affinités pour certains groupes, minutie, désordre, etc., seront consignés et permettront de dégager les tendances, la personnalité du sujet.
2— LES RÉACTIONS QUE PEUT PRÉSENTER LE DÉTENU
Il n ’y a pas discontinuité dans les différentes manifestations réactionnelles, mais une progressivité qui va des réactions subnormales aux réactions pathologiques. Tout délinquant est déjà un peu déséquilibré, surtout les multidélinquants.
Il ne faut pas ainsi songer à obtenir d ’eux une adaptation trop parfaite. Les « mous » sont anormaux eux aussi ! Les différentes catégories de réactions que l ’on peut observer sont :
- a) Réactions d ’excitation;
- b) Réactions de dépression;
- c) Réactions de persécution;
- d) Réactions discordantes;
- e) Réactions de caractère sexuel;
- f) Réactions de simulation
a) Réactions d’excitation.
Fréquentes en cellule, à l ’isolement, chez ceux qui sont un peu déséquilibrés, frustes, petits débiles, à la vie antérieure semi-sauvage. Leur comportement peut être comparé à celui d’une bête sauvage que l ’on vient de mettre en cage. Ces réactions s’atténuent par la suite. Chez les hyperémotifs également, à la suite de contrariété, énervement, dû à diverses causés souvent ignorées. Le praticien dispose dans ces cas de médicaments inoffensifs : les « tranquillisants », qui atténuent rapidement ces manifestations et les font disparaître. La crise de nerfs : une réaction d ’excitation plus grave est la crise de nerfs, décharge d ’une tension nerveuse qui s’est accumulée. Elle se présente sous la forme de cris, mouvements désordonnés d ’une certaine ampleur, elle ressemble un peu à la crise épileptique. La différence est parfois difficile à déceler pour un observateur: non qualifié. Notons que « la crise de nerfs » est consciente, annoncée; elle a une cause, elle est choisie,. spectaculaire, bruyante, et peut être assez longue. La crise épileptique est brutale, imprévue, discrète dans ses manifestations, de peu de durée, 5 minutes environ, sauf dans le cas de crises en. chaîne, fait qui ‘est très rare.
La crise d’agitation se présente sous la forme de coups désordonnés, bris de matériel, carreaux, etc. Pour arrêter ces manifestations, neutraliser le sujet au moyen d’une grande couverture ou un grand drap, jeté sur la tête, ce qui permettra de le ligoter, sans lui faire de mal. On dispose dans ce cas aussi d ’un médicament (le Largactil) ; administré en injection, il donne de bons résultats et évite le ficelage, le camisolage.
La psychose carcérale, qui se présente sous forme de confusion mentale. Il s ’agit d ’un état pathologique ; le malade doit être interné.
b) Réactions de dépression.
La tristesse légitime : Elle est due à l ’incarcération, la frustration, la peine; le sujet raisonne, ne manifeste pas de confusion.
Le remord, qu’il faut différencier du regret, est extrêmement rare. Purement moral, intérieur, indépendant du châtiment, il est presque anormal, car il donne une impression d’indignité reconnue, d ’une auto-accusation qui prélude le plus souvent au cafard, à la mélancolie, et peut conduire au suicide.
Le suicide : Distinguer la tentative de suicide vraie de la fausse, celle qui est simulée. Celle-ci, d’ailleurs, peut quand même aboutir à la mort de son auteur, quand il «rate» sa démonstration; cela s’est souvent produit. La tentative de suicide vraie est une manifestation que l ’on peut difficilement, prévenir. Une fouille soignée permettant de soustraire tout objet dangereux, une surveillance étroite sont les moyens matériels dont on dispose., On peut faire appel au médecin psychiatre qui, lui, dispose de l ’excellente médication qu’est le Largactil. Ses effets sont anesthésiants; abattent les. nerfs; permettent de faire passer au sujet un « cap » difficile. Cependant Sénèque; très justement-, déjà écrivait : «En vain retient-on celui qui a envie de mourir… ». Un cas récent démontre jusqu’à quel point peut mener l ’obstination d ’un candidat au suicide : « Un désespéré s ’est suicidé en se perçant le cœur avec une aiguille, après plusieurs tâtonnements, plusieurs essais infructueux ».
L ’automutilation : Courante en prison, elle est difficile à caractériser du point de vue psychologique. Certaines motivations peuvent être facilement décelées : désir d ’hospitalisation pour tenter une évasion, besoin d ’attirer l ’attention, réaction mélancolique. Dans ce dernier cas, cela peut être très grave.
Le refus d’aliments : Leurs auteurs sont des opposants, des déprimés ou des délirants. Les opposants, les « grévistes de la faim », se manifestent d ’une façon spectaculaire; ils ne sont pas, le plus souvent, passibles d ’un traitement médical et si on associe, à leur grève de la faim, la grève de la soif obligatoire, ils se lassent très rapidement, car le corps humain peut supporter beaucoup plus longtemps le manque d ’alimentation solide que liquide. Les autres cas peuvent être soumis au médecin psychiatre qui dispose de :
1° L ’alimentation forcée, par sonde (moyen peu élégant bien sûr, quelquefois indispensable) ;
2° Le Largactil déjà cité, plus pratique, plus efficace aussi clans ce cas.
Le plus important reste l ’alimentation liquide. Dans les cas graves, on pratique l ’injection liquide sous-cutanée.
c) Réactions de persécution.
Le paranoïaque se caractérise par une fausseté de jugement, une surestimation du moi, une impression de persécution, une certaine psychorigidité. C ’est le plaideur-né. Il s’agit chez lui d’une disposition d ’esprit. On en rencontre beaucoup, atteints à des degrés différents allant jusqu ’aux cas les plus graves, pathologiques. Chez les détenus cela peut se traduire par des sentiments exprimés que l ’on juge exagérés. Cependant, il faut rechercher la réalité des faits. Ceux qui amplifient, déforment sont :
Les persécutés, qui font un délire de persécution, accompagné quelquefois d ’un refus d’aliment, causé par la peur irraisonnée.
Les hallucinés, qui parlent, entendent des voix, , comme si une autre personne partageait leur cellule.; Ne pas confondre avec certaines personnes. Parlant seules, sans but, sans raison. Normales, celles-ci n’ont pas l ’attitude d’écoute.
Il ne s’agit que d ’un monologue. L’halluciné dialogue, écoute. Dans les réactions de persécution il ne s’agit, pour lui, que de « reproches », de « différends ».
d) Réactions discordantes
Il faut penser au cas des trop « bons » détenus, trop calmes, trop faciles, trop mous. Il s agit d ’une attitude de repli. L ’indifférence morale, matérielle est totale, vis-à-vis de tout, famille, entourage… Elle laisse présager un processus dissociatif.
L apragmatisme : Il ne faut pas le confondre avec la paresse naturelle, habituelle. C ’est un processus de désadaptation, il peut s’y ajouter quelques bizarreries, tics, mimiques discordantes, rires immotivés. Il peut amorcer, soit lui aussi une espèce de schizophrénie, soit une psychose qui se manifestera par un refus d ’aliments, par des réactions impulsives, gifles, coups irraisonnés.
e) Réactions de caractère sexuel
La masturbation banale, peu fréquente, est normale, elle ne pose pas de problème. Trop renouvelée, elle devient anormale. On la constate chez les débiles mentaux, chez les sujets aux réactions d ’énervement par une espèce de « compensation ».
L ’homosexualité : Les homosexuels catalogués «pédophiles» sont le plus souvent de bons détenus. Ils agissent sur des enfants, ne s’adressent pas aux adultes, en général. Ce sont des timides, inhibés. Les pratiquants avec des adultes posent plus de problèmes
Parmi eux : Certains sont des habituels, d’autres acquièrent ces habitudes. Ils avaient certainement des tendances. L ’incarcération les place en milieu plus propice à se laisser aller à celles-ci. On ne croit guère à la contamination des adultes, qui n ’ont aucune tendance anormale. Dans les habituels distinguons : l ’initiative ou les attaquants, la passivité ou les attaqués, plutôt que les actifs, les passifs. Les attaquants sont les plus redoutables, mais les attaqués, les efféminés en particulier cherchant l ’initiative d ’un partenaire peuvent être provocants.
Quelle attitude adopter ?
D ’abord ne pas avoir la hantise de la possibilité de ces actes en prison. Il ne faut pas faire une «psychose» de l ’homosexualité. On risquerait de la créer ! Chez les hommes, elle est essentiellement l ’expression d ’un besoin physiologique. L ’affectivité, les sentiments, interviennent peu. Chez les femmes, au contraire, elle est sentimentale, à base d affectivité, elle est le plus souvent très spectaculaire, étalée au grand jour.
f) Réactions de simulation
Pure, elle est rare. Elle survient : au stade prévention d ’un crime ou d ’un délit, uniquement utilitaire. Après la condamnation elle est plus rare, elle a un but utilitaire aussi, envoi dans un hôpital en vue d ’une tentative d ’évasion (par exemple). En fait, il y a_le plus souvent, fausse simulation, troubles mal relatés, sursimulation…, ces sujets exagèrent volontairement des troubles réels, dont ils ont conscience. La simulation est en réalité difficile. Le simulateur, profane et pressé, choisi des manifestations spectaculaires, immédiates, qui le fatiguent rapidement. Une observation prolongée, le lasse.
Un « bon simulateur » devrait procéder lentement, par petites touches, bien connaitre tous les symptômes de l ’état pathologique choisi. Elle est, de toute façon, pénible au sujet, lui crée des malaises, certains troubles même, qui le gênent.
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