« La prison est une école du crime » : un vieil adage conforté par une étude publiée en 2024 à partir d’un échantillon norvégien. Analysant 140 000 séjours carcéraux, cette recherche dévoile comment les interactions entre détenus alimentent la récidive et créent des réseaux criminels durables. Voici 4 enseignements clés pour repenser la gestion carcérale.
Julian Vedeler Johnsen, Laura Khoury (2024) Peer Effects in Prison
1. L’effet « contagion criminelle »
- +1.5% de risque de récidive sous 5 ans quand l’expérience criminelle moyenne des pairs augmente d’un écart-type.
- +6%du nombre d’infractions commises (effet « marge intensive »).
- Pics à la sortie : L’influence des pairs est maximale la 1ère année post-détention (voir graphique ci-dessous), puis décline.
2. L’effet « parrain »
Les « criminels chevronnés » (top 10% en expérience) exercent une influence disproportionnée :
- +0.7% de récidive par écart-type d’exposition à ces profils.
- Un effet indépendant de l’expérience moyenne des pairs.
- Profil type : Jeunes, faible éducation, spécialisés dans les crimes contre les biens (77% des arrestations).
« Ces ‘experts’ agissent comme des mentors illicites, transmettant savoir-faire et connexions » .
3. La fabrique des réseaux criminels
La co-détention génère des liens durables :
- +38% de probabilité de co-délinquance future après un séjour commun.
- Effet amplifié par la recherche de profils « qui nous ressemblent » ou « qui nous sont proches » (homophilie) :
- Pairs de même commune : +76% d’effet réseau
- Pairs de même nationalité : +68%
- Les prisons ouvertes (prisons sans barreaux) sont des incubateurs : liberté de mouvement = interactions accrues .
4. Publics vulnérables et paradoxes
- Primo-délinquants et auteurs d’infractions routières :
- Jusqu’à +7.5% de récidive à 1 an (vs +3.2% en moyenne).
- Effet « diversification » :
- Les auteurs de violences/trafic développent de nouvelles spécialités (crimes économiques, stupéfiants) sous influence.
- Paradoxe norvégien : Le modèle réputé « humain » (prisons ouvertes) renforce les effets de pairs négatifs .
💡 Implications politiques
1. Segmenter les affectations : Isoler les « criminels chevronnés » et protéger les profils vulnérables (primo-entrants).
2. Surveiller les interactions dans les prisons ouvertes.
3. Développer des contre-réseaux : Programmes pro-sociaux exploitant la dynamique de groupe.
4. Réévaluer les courtes peines : La forte rotation carcérale multiplie les expositions à pairs négatifs.
La prison norvégienne, pourtant modèle de réhabilitation, révèle un angle mort : les interactions entre détenus peuvent systématiser la criminalité. Une piste ? Transformer les « effets de pairs » en levier de réinsertion, via un ciblage fin des groupes.
Source : Johnsen & Khoury (2024). « Peer Effects in Prison ». IZA Discussion Paper No. 17114.
Si le lien est brisé: dp17114
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