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Conseil économique, social et environnemental (2019) La réinsertion des personnes détenues: l’affaire de tous et toutes:

mai 2nd, 2025 | Publié par crisostome dans PRISON | PROBATION
Le rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE), intitulé « La réinsertion des personnes détenues : l’affaire de tous et toutes » (2019), offre une analyse approfondie des défis liés à la réinsertion des personnes détenues en France, avec des recommandations concrètes pour améliorer les politiques publiques.
Le rapport s’inscrit dans un contexte de préoccupations croissantes sur l’efficacité du système pénitentiaire français en matière de réinsertion. Adopté le 26 novembre 2019, il fait suite à une saisine du Premier ministre et s’appuie sur un précédent avis de 2006 qui avait déjà alerté sur les lacunes en matière de réinsertion. Malgré des avancées, comme la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté et la loi pénitentiaire de 2009, les progrès restent insuffisants. La surpopulation carcérale est un enjeu majeur, avec près de 71 000 personnes détenues en 2019, contre 60 000 en 2006, et des établissements souvent surchargés (occupation moyenne des maisons d’arrêt à 138 %). Cette situation est exacerbée par une politique centrée sur la sécurité plutôt que sur la réinsertion, avec un ratio d’un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) pour 80 personnes sous supervision, loin des normes européennes.
Le rapport souligne que la prison peut avoir des effets désocialisants, déresponsabilisants, créant ou aggravant des ruptures sociales, familiales et professionnelles. Cela est particulièrement marqué pour les courtes peines, qui représentent 62 % des condamnations (inférieures à deux ans) et 46 % (inférieures à un an), mais qui ne permettent pas une préparation adéquate à la sortie.
Données et statistiques
Les données présentées dans le rapport offrent un éclairage précis sur la situation. Les taux de récidive varient fortement selon le type de libération :
  • 63 % pour les sorties sèches (sans accompagnement), ce qui reflète les difficultés de réinsertion sans soutien.
  • 39 % pour les libérations conditionnelles, indiquant un effet protecteur du suivi post-libération.
  • 34 % pour les peines de travail d’intérêt général (TIG), montrant l’efficacité relative des mesures communautaires.
D’autres chiffres soulignent les obstacles à la réinsertion :
  • Seulement 28 % des détenus ont un travail rémunéré en prison, contre 46,2 % en 2000, avec 1 205 postes pour 2 294 opérateurs dans des secteurs comme la confection, le bois ou la métallurgie, souvent des emplois peu qualifiés (tri, nettoyage) ne développant pas de compétences transférables.
  • 14 % des détenus bénéficient d’une formation professionnelle, malgré un coût mensuel moyen de 200 € par détenu pour des services comme la cantine, la télévision ou le téléphone.
  • En 2017, 28 % des personnes libérées n’avaient pas de logement, un facteur aggravant le risque de récidive.
  • Le profil des détenus montre que 44 % ont entre 18 et 30 ans, 76 % ont un niveau d’éducation inférieur ou égal au CAP, et 9 % sont sans domicile fixe, ce qui complique leur réinsertion.
Le budget de la justice en France (65,9 € par habitant) est également inférieur à celui de pays comparables comme l’Allemagne (121,9 €), les Pays-Bas (119,2 €) ou la Suède (118,6 €), limitant les ressources pour des programmes de réinsertion.
Recommandations et axes d’action
Le rapport propose quatre axes principaux pour transformer le système et favoriser la réinsertion, avec des mesures concrètes et des objectifs chiffrés :
  1. Développer les alternatives à l’incarcération :
    • Faire des alternatives une priorité de la politique pénale, avec des outils comme la surveillance électronique (2 376 peines en 2019), le TIG (36 614 peines) et les sursis avec mise à l’épreuve (120 572).
    • Atteindre 5 000 places en semi-liberté et en placement externe, contre 903 et 1 643 respectivement en 2019.
    • Améliorer la visibilité via des tableaux de bord et des indicateurs, et envisager de baisser le seuil d’ajustement des peines à deux ans (proposition rejetée par le ministre).
    • S’inspirer de modèles comme la Finlande, qui a réduit sa population carcérale de trois en 50 ans.
  2. Mettre en œuvre les moyens de la réinsertion :
    • Organiser les peines autour de la réinsertion, avec une individualisation des parcours.
    • Améliorer l’accès aux soins de santé, notamment avec des bilans de santé à l’entrée en détention, et garantir l’accès aux droits sociaux (identité, papiers de résidence).
    • Maintenir les liens familiaux, essentiels pour la réinsertion, et promouvoir la culture, le sport et l’expression des détenus.
    • Favoriser l’emploi et la formation, en transformant les contrats de travail en prison en outils couvrant les droits au chômage, à la retraite et à la formation. Par exemple, proposer des contrats spécifiques pour les détenus, avec des incitations pour les employeurs via la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
    • Adresser les problèmes de logement, avec des référents SIAO (Service d’Insertion et d’Accès au Logement) et des structures de transition, notamment pour les courtes peines, en facilitant l’accès au logement social.
  3. Faire de la réinsertion un objectif partagé :
    • Créer un comité interministériel pour fixer des objectifs et des indicateurs de réinsertion, avec un service national autonome pour le suivi des personnes libérées.
    • Développer des comités locaux de réinsertion pour coordonner les acteurs (associations, collectivités, services publics).
    • Augmenter le nombre de CPIP pour respecter les normes européennes, avec un objectif d’un conseiller pour 60 personnes (contre jusqu’à 130 actuellement), nécessitant le recrutement de 1 300 nouveaux postes en 2019, dont 400 pour les SPIP (Services pénitentiaires d’insertion et de probation).
    • Assurer une diversité des profils dans le recrutement et la formation des CPIP, avec actuellement 60 % de diplômés en droit et seulement 7 % en travail social.
  4. Encourager le débat public et l’analyse :
    • Demander à la Cour des Comptes de comparer les coûts de la détention et des alternatives, pour démontrer l’efficacité économique des mesures communautaires.
    • Étudier les profils pénaux et sociaux des détenus, leur santé mentale et physique, et leurs parcours de réinsertion, pour mieux adapter les politiques.
    • Fixer des objectifs de réduction de la population carcérale par juridiction, avec des indicateurs clairs pour mesurer les progrès.
Le rapport souligne que la France reste en retard par rapport aux standards européens en matière de réinsertion, avec des conditions de détention souvent critiquées pour leur indignité. La ministre de la Justice, présente lors du vote, s’est engagée à une expertise des propositions, mais des doutes subsistent sur la mise en œuvre, notamment en raison des contraintes budgétaires et des priorités sécuritaires. Le vote a été largement approuvé (153 voix pour, 0 contre, 2 abstentions), reflétant un consensus sur l’urgence d’agir.

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