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Recherches contemporaines sur la psychopathie: le modéle triarchique et la necessité d’interventions précoces

février 22nd, 2025 | Publié par crisostome dans PSYCHOPATHIE

Modéle triarchique de la psychopathie (Partick, 2009)

La psychopathie est un trouble complexe, souvent caractérisé par un manque d’empathie, des comportements antisociaux et une régulation émotionnelle altérée. Les recherches récentes utilisent le modèle triarchique (désinhibition, audace, méchanceté) pour mieux comprendre ses dimensions, montrant que la désinhibition est liée à des problèmes d’impulsion, l’audace à des résultats mixtes (positifs et négatifs), et la méchanceté à des comportements agressifs.

Bases cérébrales
Des études montrent que les personnes avec des traits psychopathiques, qu’elles soient criminelles ou non, présentent des altérations dans les zones cérébrales liées à la régulation émotionnelle. Ces différences sont aussi visibles chez des individus fonctionnels sans antécédents criminels .
Trajectoire développementale
Les traits psychopathiques émergent souvent avant 10 ans, influencés par des facteurs génétiques et environnementaux. Ils sont persistants, et des scores précoces prédisent la psychopathie adulte. Les interventions précoces, comme les programmes de formation parentale, peuvent réduire ces traits chez les enfants.
Interventions et traitements
Pour les adultes, les traitements traditionnels sont peu efficaces, mais les interventions précoces, notamment via des thérapies familiales, montrent des résultats prometteurs pour réduire les traits chez les enfants, avec des réductions significatives des problèmes de comportement.

La recherche récente s’appuie fortement sur le modèle triarchique de la psychopathie, proposé par Patrick et al. (2009), qui divise le trouble en trois domaines : la désinhibition (problèmes de contrôle des impulsions), l’audace (dominance sociale, résilience émotionnelle) et la méchanceté (comportements agressifs et exploitants).
Une étude de 2023 (The personal cost of psychopathy) a examiné l’impact de ces traits sur les déficiences, les troubles internalisés et la satisfaction de vie, montrant que la désinhibition est liée à des déficiences significatives dans plusieurs domaines fonctionnels, tandis que l’audace présente des résultats variables, incluant des aspects positifs comme une meilleure qualité de vie et des aspects négatifs comme des déficiences en empathie et en intimité.
Une méta-analyse de 2019 (An examination of the Triarchic Model) a également exploré les relations entre ces domaines et d’autres mesures de psychopathie, telles que la Psychopathy Checklist-Revised (PCL-R) et la Levenson Self-Report Psychopathy Scale (LSRP). Les résultats indiquent des corrélations modérées à fortes, avec l’audace associée à des résultats adaptatifs comme le bien-être et le leadership, tandis que la méchanceté et la désinhibition sont liées à des résultats maladaptatifs comme l’agression et l’usage de substances.

Bases neurobiologiques

Une étude de 2021 de l’Université de Turku (Brain Basis of Psychopathy) a révélé des altérations structurelles et fonctionnelles dans les zones cérébrales impliquées dans la régulation émotionnelle, tant chez les délinquants criminels psychopathiques que chez des individus fonctionnels avec des traits psychopathiques. Chez les délinquants, la densité des zones impliquées dans le contrôle cognitif et la régulation émotionnelle était compromise, avec des réactions plus fortes lors de la visualisation de films violents. Chez les participants non condamnés, plus les traits psychopathiques étaient prononcés, plus leur cerveau ressemblait à celui des criminels, suggérant un continuum de la psychopathie dans la population générale.

Trajectoire développementale et facteurs étiologiques

Les recherches développementales soulignent que les traits psychopathiques peuvent être identifiés avant l’âge de 10 ans, avec des influences génétiques significatives. Une étude de 2007 (Longitudinal evidence that psychopathy scores in early adolescence predict adult psychopathy) a montré que les scores de psychopathie à l’adolescence précoce prédisent la psychopathie à l’âge adulte, indiquant une persistance des traits. Les facteurs environnementaux, tels que les pratiques parentales, jouent également un rôle crucial, comme le montre une étude de 2023 (New study untangles the links between parenting practices), qui a trouvé des relations uniques entre les pratiques parentales et les traits psychopathiques, même après avoir tenu compte des problèmes de conduite.
Interventions précoces et traitements
Les interventions précoces sont essentielles pour prévenir le développement complet de la psychopathie. Une étude de 2022 (Possible Interventions for Preventing the Development of Psychopathic Traits among Children and Adolescents?) a détaillé plusieurs stratégies, notamment :
Stratégie
Description
Groupe d’âge
Efficacité/Résultats
Programmes de formation parentale
Enseignent l’implication positive, les éloges, l’encouragement, et la gestion des conflits.
Enfants
Réduit les problèmes de comportement ; moins d’effet avec des sanctions pour les traits CU (callous−unemotional= manque d’empathie), plus avec l’encouragement prosocial.
Thérapie d’interaction parent-enfant (PCIT-CU)
Version adaptée, axée sur les stratégies basées sur la récompense et le développement émotionnel.
Enfants d’âge préscolaire
Réductions significatives des problèmes de comportement et augmentation de l’empathie (étude pilote, n=23).
Thérapie multisystémique (MST)
Approche familiale et réseau, intensive (3-5 mois, plusieurs réunions/semaine).
Adolescents
Bénéfices pour les adolescents avec des traits CU élevés, réductions rapportées par les parents.

Les interventions précoces ciblant les enfants présentant des traits callo-émotionnels sont plus prometteuses que les traitements adultes, avec des effets durables sur la récidive.

Les traitements traditionnels sont donc moins efficaces sur les adultes, avec des résultats mitigés, comme indiqué également dans une revue de résultats de recherche de 2018 (Reducing psychopathic violence: A review of the treatment literature), qui souligne la nécessité d’interventions spécifiques et adaptées.
Une recherche recente (Blair, 2023, Psychopathy: Cognitive and neural dysfunction) vient par ailleurs préciser encore davantage les mécanismes neurobiologiques de la psychopathie:

« La psychopathie est un trouble du développement caractérisé par des déficits émotionnels et un risque accru de comportement antisocial. Elle n’est pas équivalente au diagnostic de trouble de la personnalité antisociale, qui se concentre uniquement sur le risque accru de comportement antisocial et non sur une cause spécifique, à savoir la réduction de l’empathie et de la culpabilité qui constitue le déficit émotionnel. La présente étude examine les données relatives aux adultes atteints de psychopathie en ce qui concerne les principaux comptes rendus cognitifs du trouble qui soulignent soit un déficit d’attention primaire, soit un déficit d’émotion primaire. En outre, la présente étude examine les données relatives à la neurobiologie de ce trouble. Le dysfonctionnement du rôle de l’amygdale dans l’apprentissage par renforcement et le rôle du cortex frontal ventromédian dans la représentation de la valeur du renforcement sont soulignés. Des données sont également présentées indiquant des difficultés potentielles dans certaines parties du cortex temporal et du cortex cingulaire postérieur. (…)

Il est important de noter qu’en spécifiant les déficiences au niveau des systèmes informatiques et neuronaux qui sont associées à ce trouble, nous disposons désormais de biomarqueurs de dysfonctionnement. Ces biomarqueurs ne sont pas seulement utiles pour la classification diagnostique – les déficiences fonctionnelles d’un patient agressif peuvent être très différentes de celles d’un autre – mais aussi pour l’évaluation de l’efficacité du traitement. Actuellement, ce trouble est considéré comme extrêmement difficile à traiter. En outre, les études sur le traitement sont difficiles à réaliser lorsque la mesure du résultat peut être la récidive ou l’incidence des épisodes agressifs. Toutefois, il devient possible d’utiliser des biomarqueurs appropriés pour déterminer l’efficacité du traitement. Le domaine en est actuellement à ce stade passionnant. Il nous faut maintenant identifier des traitements efficaces » (Blair 2023).

Implications et perspectives futures

Ces résultats soulignent l’importance d’une approche intégrée, combinant des recherches biobehaviorales et développementales pour mieux comprendre et traiter la psychopathie. Les interventions précoces, en particulier, offrent un potentiel pour réduire l’impact sociétal de la psychopathie, en ciblant les enfants à risque avant que les traits ne deviennent profondément enracinés. 
En conclusion, la recherche récente sur la psychopathie met en lumière sa complexité multidimensionnelle, ses bases neurobiologiques et son potentiel de prévention par des interventions précoces, offrant des perspectives prometteuses pour réduire son impact à long terme.

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