Henri Laborit, neurobiologiste et chercheur français (1914-1995), a développé des théories fondamentales sur l’inhibition de l’action qui ont considérablement influencé notre compréhension du psychotraumatisme. Ses travaux, bien que datant principalement des années 1960-1980, restent d’une pertinence remarquable et ont été complétés par des recherches plus récentes.
Les concepts fondamentaux de Laborit
Laborit a introduit le concept d' »inhibition de l’action » (système d’inhibition comportementale -SIC) comme une réponse fondamentale face à une menace lorsque ni la fuite ni la lutte ne sont possibles. Selon lui, lorsqu’un organisme est confronté à une situation menaçante et qu’il ne peut ni fuir ni combattre, il adopte une stratégie d’immobilisation, de « faire le mort » ou de soumission. Cette réponse, bien qu’adaptative à court terme, peut devenir pathologique si elle se prolonge.
Sa célèbre expérience avec les rats illustre ce phénomène : un rat placé dans une cage où il reçoit des chocs électriques inévitables finit par développer une immobilité comportementale et des pathologies organiques (ulcères, hypertension).
Application au psychotraumatisme
Cette théorie a permis de comprendre que le psychotraumatisme résulte souvent d’une situation où la personne est confrontée à un danger dont elle ne peut ni s’échapper ni se défendre, conduisant à cette inhibition de l’action. Les symptômes du trouble de stress post-traumatique (TSPT) peuvent être vus comme des manifestations de cette inhibition prolongée : sidération, évitement, repli, dissociation.
Recherches récentes complétant les travaux de Laborit
1. Neurobiologie du trauma
Les recherches récentes de Bessel van der Kolk, Stephen Porges et d’autres ont approfondi notre compréhension des mécanismes neurobiologiques impliqués dans cette inhibition de l’action :
Théorie polyvagale (Porges) : Elle précise le rôle du système nerveux parasympathique dans l’immobilisation traumatique. Le nerf vague a deux branches : une branche ventrale (mammalienne) liée à l’engagement social, et une branche dorsale (reptilienne) responsable de l’immobilisation. Le trauma activerait préférentiellement cette dernière.
Imagerie cérébrale : Des études en IRM fonctionnelle montrent que lors du rappel traumatique, l’activité diminue dans les zones du cortex préfrontal (responsable de la pensée rationnelle) tandis qu’elle augmente dans l’amygdale (centre de la peur) et dans les zones liées à la perception sensorielle.
2. Mécanismes cellulaires et moléculaires
Axe HPA et cortisol : Les recherches récentes (2020-2023) ont affiné notre compréhension des dérèglements de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien lors du trauma, confirmant l’intuition de Laborit sur les impacts hormonaux de l’inhibition de l’action.
Épigénétique du trauma : Des études ont démontré que le trauma peut modifier l’expression des gènes sans changer la séquence d’ADN, notamment au niveau des récepteurs aux glucocorticoïdes, expliquant la transmission intergénérationnelle du trauma que Laborit avait intuitivement perçue.
3. Traitements basés sur ces découvertes
Les travaux de Laborit ont inspiré des approches thérapeutiques innovantes :
EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) : Cette thérapie utilise la stimulation bilatérale pour aider le cerveau à retraiter les souvenirs traumatiques.
Thérapies sensorimotrices (Pat Ogden) : Ces approches incorporent le corps dans le traitement du trauma, reconnaissant que l’inhibition de l’action se manifeste physiquement.
Thérapie par la cohérence cardiaque : Basée sur la régulation du système nerveux autonome, cette approche vise à contrecarrer les effets de l’inhibition prolongée.
4. Développements conceptuels
Trauma complexe : La notion de trauma complexe (développée par Judith Herman puis par Christine Courtois) élargit la compréhension du trauma au-delà de l’événement unique, reconnaissant l’impact cumulatif de traumatismes répétés et relationnels.
État de stress post-traumatique complexe : Récemment reconnu dans la CIM-11 (2018), ce diagnostic prend en compte les altérations de la régulation émotionnelle, de la perception de soi et des relations interpersonnelles résultant de traumatismes prolongés.
Trauma développemental : Les travaux d’Allan Schore et Daniel Siegel ont montré comment les traumatismes précoces affectent le développement cérébral, particulièrement les systèmes de régulation affective.
Cette étude a révélé que seulement 15–24 % des individus exposés à un traumatisme développent un TSPT, avec une prévalence de BI de 76 % chez les vétérans de la Garde côtière atteints de TSPT contre 30 % sans TSPT. L’enfance avec inhibition de l’action augmente le risque de TSPT, lié à un apprentissage d’évitement accru chez les humains et les rats WKY, avec une acquisition plus rapide et une extinction plus lente sous renforcement partiel. Cela complète le modèle de Laborit en montrant comment les tendances inhérentes à l’inhibition amplifient les effets de l’inhibition d’action induite par le traumatisme, fournissant un modèle de diathèse pour la vulnérabilité au TSPT.
Déficits de Contrôle Inhibiteur dans le TSPT
Haller et al. (2015) dans Posttraumatic Psychological Symptoms are Associated with Reduced Inhibitory Control, not General Executive Dysfunction ont trouvé que les symptômes de TSPT sont spécifiquement liés à une réduction du contrôle inhibiteur, en particulier l’inhibition de réponse et la suppression des distracteurs, plutôt qu’à un dysfonctionnement exécutif général. Cela enrichit le modèle de Laborit en suggérant que l’inhibition chronique d’action pendant le traumatisme conduit à des déficits cognitifs durables dans le contrôle des impulsions, potentiellement exacerbant la détresse psychologique, en alignement avec ses observations de conséquences négatives sur la santé dues à l’inhibition d’action.
« Bien qu’il y ait de plus en plus de preuves que des symptômes de SSPT plus importants sont associés à un fonctionnement exécutif réduit, on ne comprend pas très bien si cette association est plus globale ou spécifique à certains sous-domaines de la fonction exécutive, tels que le contrôle inhibiteur. Nous avons étudié la généralité de l’association entre les symptômes du SSPT et les fonctions exécutives en administrant une large batterie de tâches sensibles de fonctionnement exécutif à une cohorte d’anciens combattants de l’opération Enduring Freedom/Operation Iraqi Freedom de retour au pays et présentant des symptômes variés de SSPT. Seules les tâches liées au contrôle inhibiteur ont permis d’expliquer une variance significative des symptômes du SSPT ainsi que des symptômes de dépression, alors que les mesures de la mémoire de travail, les mesures de commutation et les mesures évaluant simultanément plusieurs sous-domaines de la fonction exécutive ne l’ont pas fait. Notamment, les deux mesures du contrôle inhibiteur qui ont montré la plus forte corrélation avec les symptômes du SSPT et de la dépression, les mesures de l’inhibition de la réponse et de la suppression du distracteur, ont expliqué une variance indépendante. Ces résultats suggèrent que des symptômes psychologiques post-traumatiques plus importants ne sont pas associés à un déclin général des fonctions exécutives, mais qu’ils sont plus spécifiquement liés à l’arrêt des réponses automatiques et à la résistance aux distractions internes et externes. »
Mécanismes Neurobiologiques
Krompinger et al. (2020) dans The Specificity of Inhibitory Control Deficits in Post-Traumatic Stress Disorder: A Dissociation Between the Speed and Reliability of Stopping ont exploré des aspects spécifiques du contrôle inhibiteur dans le TSPT, trouvant une dissociation entre la vitesse et la fiabilité de l’arrêt, indiquant des mécanismes de contrôle cognitif altérés. Cette étude, utilisant des tâches de signal d’arrêt, a montré que les patients TSPT présentent un arrêt plus lent et moins fiable, lié à une réduction de l’activation dans les régions du cortex frontal inférieur, dorsolatéral (PFC) et orbitofrontal (OFC), comme vu dans des études précédentes comme Falconer et al. (2008). Cela fournit une base neurobiologique pour le modèle de Laborit, montrant comment le traumatisme affecte les réseaux cérébraux, potentiellement expliquant les réponses de stress chronique observées dans ses expériences sur les rats.
Impuissance et Activation du SIC
Van Prooijen et Krouwel (2023) dans The threat of powerlessness: Consequences for affect and (social) cognition lient directement l’impuissance pendant le traumatisme à l’activation du SIC, faisant l’hypothèse qu’elle conduit à des défenses accrues contre les menaces via une activation accrue du SIC, confirmée par des résultats méta-analytiques sur quatre études. Cette étude, publiée en 2023, montre un lien indirect entre l’impuissance et les conséquences cognitives/affectives, aligné avec l’accent de Laborit sur l’activation du SIC dans des scénarios d’inhibition d’action. Cela enrichit son modèle sur la manière dont l’impuissance dans des contextes de traumatisme active les systèmes de stress, potentiellement menant au TSPT et à d’autres problèmes de santé mentale.
Résumé des études clés et leurs contributions au modèle de Laborit :
Auteurs de l’Étude
Année
Intitulé et Insight
Contribution au Modèle de Laborit
DOI/URL
Allen et al.
2019
Inhibited personality temperaments increase PTSD vulnerability via avoidance learning
Montre BI comme facteur de risque, aligné avec effets d’inhibition d’action
En conclusion, la recherche contemporaine sur les psychotraumatismes a significativement enrichi le modèle d’Henri Laborit sur l’inhibition de l’action, offrant des insights sur les dimensions comportementales, cognitives et neurobiologiques du TSPT. Ces études valident non seulement ses observations, mais les étendent également à des contextes humains, fournissant un cadre robuste pour comprendre et traiter les troubles liés au traumatisme. Un détail inattendu est l’accent mis sur les comportements d’évitement dans le TSPT, offrant une perspective comportementale sur les découvertes physiologiques de Laborit, qui pourrait guider les approches thérapeutiques futures.
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