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Le document « Important Things to Get Right About the ‘Neurobiology of Trauma‘ » est une série de bulletins de formation rédigée par Jim Hopper, avec des contributions de Kimberly A. Lonsway et Joanne Archambault. Il est publié par End Violence Against Women International (EVAWI) et se concentre sur la compréhension des aspects neurobiologiques du trauma, en particulier dans le contexte des agressions sexuelles.

1. Les bénéfices de comprendre la science (Partie 1)

  •  Le concept de « neurobiologie du traumatisme » est une synthèse de diverses recherches en neurosciences qui étudient comment le stress – qu’il soit modéré ou traumatique – influence le fonctionnement du cerveau. La neurobiologie du trauma combine plusieurs branches des sciences du cerveau pour expliquer les réponses courantes des victimes pendant et après une agression sexuelle. Il est important de comprendre que le terme « neurobiologie du trauma » est souvent utilisé de manière simplifiée et ne couvre pas toute la recherche scientifique sur le sujet.
  • Ce cadre aide les professionnels à avoir des attentes réalistes quant aux réponses des victimes d’agressions sexuelles.
  •  Connaître ces mécanismes permet d’écouter plus attentivement, de poser des questions ouvertes et d’éviter d’imposer des interprétations erronées sur le comportement individuel des survivants (Écoute Perceptive : Permet de mieux interpréter les récits des victimes, en reconnaissant les indicateurs de réponses de gel, de comportements habituels, et de dissociation) rappelant que chaque réaction reste unique.

2. Réponses des victimes pendant l’agression (Partie 2)

  • Plutôt que d’adhérer au schéma simpliste « fight or flight », l’article souligne que la majorité des victimes réagissent par des réflexes et des habitudes automatiques. Les réponses pendant une agression sexuelle sont souvent des réflexes de survie et des comportements habituels, plutôt que des choix rationnels.
  • Il détaille plusieurs réactions de survie :
    • le gel (freezing) : une inhibition brève et automatique du mouvement dès que le danger est perçu.
    • L’immobilité tonique et l’immobilité effondrée : des réponses plus marquées où, soit les muscles se raidirent, soit le corps perd toute tension, pouvant aller jusqu’à une sensation d’évanouissement.
    • La dissociation : un détachement involontaire des sensations physiques et émotionnelles pour atténuer la douleur du traumatisme.
  • Les comportements habituels, eux, sont souvent basés sur des expériences antérieures, comme des réponses passives apprises pour éviter les conflits.
  • L’article insiste sur le rôle de la « circuits de défense » du cerveau qui, en situation extrême, prend le dessus sur la pensée rationnelle (préfrontal cortex).
  • Même si des substances comme la noradrénaline, le cortisol, les opioïdes endogènes et l’oxytocine participent à ces réponses, il est préférable de penser en termes de circuits neuronaux plutôt que d’attribuer un comportement à une molécule spécifique.

3. Processus de mémoire (Partie 3)

  • Le document examine comment le stress et le traumatisme influencent l’encodage, le stockage et la récupération des souvenirs.
  • L’attention se focalise sur certains aspects de l’événement (les détails centraux, chargés émotionnellement) alors que les détails périphériques sont souvent moins bien encodés et tendent à disparaître rapidement.
  • Aucune personne ne peut se souvenir de « tout » lors d’un événement traumatique : la mémoire est fonction de l’attention portée et de la signification émotionnelle attribuée au moment de l’événement.
  • Importance des conditions de rappel : un environnement moins stressant et l’utilisation de questions ouvertes (accompagnées de rappels contextuels) peuvent améliorer la récupération d’informations, sans pour autant remettre en cause la fiabilité des souvenirs obtenus lors de rappels ultérieurs.
  • Sommeil et Mémoire : Le sommeil aide à préserver les détails centraux mais pas les détails périphériques; la réduction du stress, que ce soit par le sommeil ou d’autres moyens, améliore le rappel des mémoires.

Conclusion générale
La compréhension approfondie de la neurobiologie du traumatisme permet d’optimiser la manière dont les professionnels interrogent et soutiennent les victimes d’agressions sexuelles. En reconnaissant que les réponses – qu’elles soient automatiques, réflexives ou issues d’habitudes apprises – résultent d’un fonctionnement cérébral modifié par le stress, on peut adapter les techniques d’interrogatoire pour recueillir des informations précises sans imposer d’attentes irréalistes ou stigmatisantes.

Important-Things-to-Get-Right-About-the-Neurobiology-of-Trauma

L’excellent article « Understanding the Neurobiology of Trauma and Implications for Interviewing Victims » explore la manière dont le cerveau réagit au traumatisme et comment ces réactions influencent le comportement et la mémoire des victimes. Rédigé par Christopher Wilson, Kimberly A. Lonsway et Joanne Archambault, il met en lumière comment le cerveau réagit au trauma et pourquoi les réponses des victimes peuvent sembler illogiques ou incomplètes.

Le progrès des neurosciences a transformé la compréhension des réactions des victimes face à un traumatisme. Les comportements des victimes sont souvent interprétés à tort comme des signes de tromperie alors qu’ils résultent de processus neurobiologiques. Mieux comprendre ces mécanismes permet d’améliorer la manière dont les victimes sont interrogées.

Le trauma est défini comme un événement combinant peur, horreur ou terreur avec une perte de contrôle perçue ou réelle. Les réponses au trauma sont souvent automatiques et influencées par des circuits neuronaux établis. Un traumatisme survient lorsqu’un individu fait face à un événement suscitant peur et perte de contrôle. L’impact sur le cerveau peut être immédiat et avoir des effets à long terme.

  1. Fonctionnement du Cerveau :

    • Cortex Préfrontal : Responsable de la pensée logique, de la planification et de l’intégration des souvenirs en récits cohérents.
    • Système Limbique : Impliqué dans les réponses émotionnelles, l’encodage des souvenirs et les réactions de défense.
    • Amygdale : Agit comme un système d’alerte précoce pour les menaces, déclenchant des réponses de défense.
  2. Réponses au Trauma :

    • Les réponses au trauma incluent souvent des réflexes de survie comme la dissociation, l’immobilité tonique et l’immobilité par effondrement.
      • Gel (freeze) : Une paralysie temporaire due à l’incapacité d’analyser la menace.
      • Tonic Immobility : Une rigidité corporelle empêchant tout mouvement ou cri.
      • Collapsed Immobility : Une perte complète de tonus musculaire menant parfois à l’évanouissement.
      • Dissociation : Un détachement mental pour réduire l’impact émotionnel du traumatisme.
    • Ces réponses ne sont pas des choix conscients mais des réactions automatiques du cerveau face à une menace perçue.
  3. Impact sur la Mémoire :

    • Le trauma affecte l’attention et la mémoire, souvent en fragmentant les souvenirs et en rendant difficile la création d’un récit cohérent. Les souvenirs ne sont pas stockés de manière linéaire ou logique.
    • Les détails centraux (liés à la survie) sont mieux encodés que les détails périphériques. Dès lors, certains détails peuvent être extrêmement précis (ex. l’arme de l’agresseur) tandis que d’autres sont flous ou absents.
  4. Implications pour les Entretiens :

    • Les enquêteurs doivent comprendre que les victimes peuvent avoir des souvenirs fragmentés et des difficultés à séquencer les événements.
    • L’interrogatoire doit être adapté pour ne pas invalider ou fragiliser les témoignages des victimes.
    • Il est crucial d’éviter les questions suggestives et de permettre aux victimes de partager leurs souvenirs sans pression, sans interruption, en respectant le rythme de leur mémoire.
  5. Impact à Long Terme :

    • Le trauma peut sensibiliser l’amygdale, rendant les individus plus réactifs aux stimuli associés au trauma.
    • Une vigilance accrue et une capacité réduite à évaluer la sécurité sont des conséquences courantes.

Conclusion :

Le document souligne l’importance de comprendre la neurobiologie du trauma pour améliorer les techniques d’entretien des victimes, en particulier dans les cas d’agression sexuelle. Une meilleure compréhension de ces mécanismes peut transformer la manière dont les professionnels (policiers, juges, soignants) interagissent avec les survivants d’agression. Une meilleure compréhension de ces mécanismes peut conduire à des enquêtes plus efficaces et à un meilleur soutien aux victimes.

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Le Somatic Experiencing (SE) est une méthode thérapeutique développée par Peter A. Levine, expert en biophysique médicale et en psychologie, qui se concentre sur le traitement des traumatismes et des troubles liés au stress en s’appuyant sur les réponses physiques du corps. Cette approche, également connue sous le nom de thérapie somatique, repose sur l’idée que le corps retient les traces des expériences traumatiques sous forme de tension, de stress ou de dysrégulation du système nerveux. Contrairement aux thérapies cognitives comme la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), qui se focalisent sur les pensées et comportements, le SE privilégie une approche « bottom-up », c’est-à-dire qu’il commence par les sensations corporelles (interoception, proprioception, kinestésie) pour aider les individus à libérer ces tensions et à rétablir un équilibre dans leur système nerveux.
Les sessions de SE sont généralement menées en personne et impliquent que le client suive ses expériences physiques, comme des tensions musculaires, des picotements ou des sensations de chaleur, tout en étant guidé par un praticien, souvent un professionnel de la santé mentale. 

Principes clés du Somatic Experiencing

  1. Trauma comme énergie « coincée » :
    Lors d’un danger, le corps mobilise une énergie intense pour survivre. Si cette énergie n’est pas déchargée (par exemple, en cas de sidération ou d’impuissance), elle reste « piégée » dans le système nerveux, créant des symptômes chroniques.
  2. Théorie polyvagale (Stephen Porges) :
    Le SE s’appuie sur cette théorie pour expliquer comment le trauma perturbe le système nerveux autonome (SNA), favorisant des états d’hyperactivation (fuite/combat) ou d’hypoactivation (effondrement/dissociation).
  3. Titration :
    Technique consistant à aborder les sensations traumatiques graduellement, sans submerger le patient, pour éviter la réactivation brutale du trauma.
  4. Pendulation :
    Alternance entre la focalisation sur des sensations désagréables liées au trauma et des ressources corporelles apaisantes (p. ex., ancrage dans le présent).
  5. Réponse défensive complétée :
    Recréer symboliquement les mouvements ou actions que le corps n’a pas pu accomplir pendant le trauma (p. ex., pousser pour se défendre), pour « débloquer » l’énergie figée.

Techniques utilisées

  • Conscience corporelle : Observer les sensations physiques (chaleur, tension, picotements) pour identifier les signes de blocage.
  • Ressourcing : Renforcer les souvenirs ou sensations de sécurité (p. ex., imaginer un lieu sûr).
  • Décharge physiologique : Libérer l’énergie par des tremblements, pleurs, ou mouvements involontaires.
  • Jeu avec l’immobilité : Recréer des situations de contrôle pour désamorcer les réponses de sidération.

Mécanismes :

  • Réduction de l’hyperactivation de l’amygdale (liée à la peur).
  • Amélioration de la variabilité du rythme cardiaque (indicateur de résilience au stress).
  • Restauration de la connexion cortex préfrontal/cerveau limbique pour une meilleure régulation émotionnelle.

Évaluation de la recherche soutenant le SE

Pour évaluer les preuves scientifiques soutenant le SE, une revue de littérature d’ampleur publiée en 2021 (Somatic experiencing – effectiveness and key factors of a body-oriented trauma therapy: a scoping literature review) a analysé 16 études jusqu’au 13 août 2020. Cette revue a fourni des preuves préliminaires que le SE a des effets positifs sur les symptômes liés au TSPT, ainsi que sur des symptômes affectifs et somatiques comme l’anxiété, la dépression et les douleurs. Voici un résumé des principales conclusions, organisées par aspect :
Aspect
Résultats
Détails
Traitement du TSPT
Preuves préliminaires d’effets positifs, 4/5 études montrent des réductions significatives.
– Effets significatifs dans le groupe expérimental vs. contrôle (3 études : Andersen et al., Brom et al., Leitch et al.).
– Grande taille d’effet bénéfique (3/4 études : Cohen’s d = 0,46 à 1,26).
– Effets stables jusqu’à 1 an de suivi.
Symptômes comorbides
Impact positif sur la dépression, les douleurs et la résilience post-traitement.
– Dépression : effets significatifs (2 études : Cohen’s d = 1,08).
– Douleurs : réduction de la kinésiophobie (Cohen’s d = 0,46), intensité, etc.
– Résilience : amélioration significative (1 étude).
Symptômes affectifs et somatiques
Réduction de l’anxiété, de la dépression et amélioration des symptômes somatiques.
– Anxiété : réduction significative dans 2/3 études.
– Dépression : réduction significative (Cohen’s d = 0,68).
– Symptômes somatiques : amélioration (Cohen’s d = 0,72).
Bien-être
Amélioration de la qualité de vie dans les domaines social, physique et psychologique.
– Améliorations significatives dans 2 études (Cohen’s d = 0,71), sans effet dans le domaine environnemental.
Qualité des études
Qualité globale mitigée, 2 RCTs montrent le SE le plus efficace.
– 2 RCTs avec risque de biais faible à élevé.
– 20 % des études sont des RCTs, 40 % avec groupe contrôle, 60 % avec suivi ≥3 mois, 70 % avec N≥40.
Limites
Nombre limité d’études (n=5 pour TSPT, n=3 pour autres symptômes), tailles d’échantillon petites.
– Seulement 2/5 études sur TSPT comparées à un groupe contrôle.
– Instruments auto-développés dans certaines études, tailles d’échantillon faibles (ex. : N=7 dans Briggs et al.).
Les résultats sont « prometteurs », mais la qualité des études est mitigée, avec un besoin de plus de recherches non biaisées, notamment des essais contrôlés randomisés (ECR), pour renforcer les preuves.
Une étude contrôlée randomisée de 2017 (mais avec une coharte trés faible), publiée dans le Journal of Traumatic Stress (Somatic Experiencing for Posttraumatic Stress Disorder: A Randomized Controlled Outcome Study), a fourni des données plus concrètes. Cette étude a impliqué 63 participants répondant aux critères du DSM-IV-TR pour le TSPT, randomisés en deux groupes : un groupe intervention (n=33) recevant 15 sessions hebdomadaires de SE, et un groupe liste d’attente (n=30). Les principaux résultats incluent :
  • Des effets d’intervention significatifs pour la sévérité des symptômes post-traumatiques (Cohen’s d = 0,94 à 1,26) et la dépression (Cohen’s d = 0,7 à 1,08), tant avant-après qu’avant-suivi, basés sur une analyse de régression linéaire à modèle mixte.
  • À T2 (post-intervention pour le groupe intervention, pré-intervention pour le groupe liste d’attente), le groupe intervention a montré des diminutions significatives des symptômes de TSPT (CAPS : B = -22,76, p = .001 ; PDS : B = -11,19, p < .001) et de la dépression (CES-D : B = -10,68, p = .002), tandis que le groupe liste d’attente est resté stable.
  • Une diminution générale significative des symptômes de T1 à T3 a été observée (CAPS : B = -26,35, p < .001 ; PDS : B = -26,35, p < .001 ; CES-D : B = -10,14, p < .001).
  • Cliniquement, 44,1 % des participants ont perdu le diagnostic de TSPT après le traitement, un effet maintenu au suivi.
Cette étude conclut que le SE est un traitement efficace pour le TSPT, avec de grandes tailles d’effet, suggérant qu’il pourrait être inclus dans les catégories de thérapies efficaces, mais appelle à des recherches supplémentaires pour explorer les effets sur des types spécifiques de traumatismes et inclure des paramètres physiologiques.

Contexte et limites

Bien que les résultats soient encourageants, il est important de noter que le SE n’a pas encore atteint le niveau de validation empirique de thérapies comme la TCC, selon des experts comme Amanda Baker, directrice du Centre pour les troubles anxieux et de stress traumatique à l’hôpital général du Massachusetts (What is somatic therapy?). Le SE attire un intérêt croissant dans la pratique clinique, mais des critiques soulignent un manque de recherches empiriques solides, avec des appels à des essais cliniques plus robustes, notamment en 2019 et 2021.
De plus, des aspects comme l’utilisation du toucher et l’orientation vers les ressources, identifiés comme des facteurs clés par les praticiens et clients, nécessitent une exploration plus approfondie pour comprendre leur rôle dans l’efficacité. Une autre dimension inattendue est que le SE semble également bénéficier aux professionnels traitant des traumatismes, améliorant leur résilience et leur qualité de vie, comme le montre une étude de 2018 (Effect of Somatic Experiencing Resiliency-Based Trauma Treatment Training on Quality of Life and Psychological Health as Potential Markers of Resilience in Treating Professionals).
En résumé, le SE offre une approche prometteuse pour la prise en charge des traumatismes, en particulier pour ceux qui répondent bien à une thérapie centrée sur le corps. Cependant, la communauté scientifique appelle à des recherches plus rigoureuses pour établir sa place dans le paysage des traitements du traumatisme. Cette approche pourrait être particulièrement utile pour les personnes ayant du mal à exprimer leurs émotions verbalement, en leur offrant un moyen de guérir à travers le mouvement et les sensations corporelles, une perspective qui pourrait élargir les options thérapeutiques disponibles.

Trauma-informed care :

Les soins tenant compte des traumatismes ne se focalisent plus sur « ce qui ne va pas », mais sur « ce qui vous est arrivé ». Une approche des soins tenant compte des traumatismes reconnaît que les organisations de soins de santé et les équipes de soins doivent avoir une vue d’ensemble de la situation de vie d’un patient – passée et présente – afin de fournir des services de soins de santé efficaces dans une optique de guérison. L’adoption de pratiques tenant compte des traumatismes peut potentiellement améliorer l’engagement des patients, l’adhésion au traitement et les résultats en matière de santé, ainsi que le bien-être des prestataires et du personnel. Elle peut également contribuer à réduire les soins évitables et les coûts excessifs dans les secteurs des soins de santé et des services sociaux.

Les soins tenant compte des traumatismes visent à:

  • Réaliser l’impact généralisé des traumatismes et comprendre les voies de rétablissement ;
  • Reconnaître les signes et les symptômes des traumatismes chez les patients, les familles et le personnel ;
  • Intégrer les connaissances sur les traumatismes dans les politiques, les procédures et les pratiques ; et
  • éviter activement la retraumatisation.

Tonier Cain et sa fille de 14 ans, Orlandra, en 2018 ; Tonier est entrée en prison pendant sa grossesse avec Orlandra et attribue au modèle intensif du Cercle de sécurité le mérite de l’avoir aidée à se rapprocher d’Orlandra et à changer sa propre vie.

Voir la video d’illustration:

« En 2003, Glen, Kent et Bert ont travaillé avec Jude Cassidy et ses collègues pour appliquer le programme intensif du Cercle de sécurité, encore en cours de développement, dans un cadre remarquable : une prison pour femmes située à l’extérieur de Baltimore, dans le Maryland, aux États-Unis. Le projet Tamar’s Children était en fait un programme de déjudiciarisation – l’objectif était d’axer la réadaptation sur l’aide apportée aux femmes pour qu’elles surmontent leurs traumatismes, leur toxicomanie et leurs relations brisées. Les femmes enceintes étaient inscrites au cours de leur dernier trimestre et devaient rester dans le programme jusqu’à ce que leur nouveau-né ait un an. L’une des vingt mères participant à l’étude s’appelait Tonier Cain, dont l’incroyable histoire est relatée dans le documentaire primé Healing Neen, que l’on peut voir sur le site toniercain.com.
L’étude Tamar’s Children a clairement montré que le programme intensif Circle of Security était pertinent même pour les parents les plus à risque. Tonier, par exemple, avait été emprisonnée plus de 60 fois, vivait dans la rue, souffrait de toxicomanie et s’était déjà vu retirer quatre enfants lorsqu’elle s’est inscrite au projet Tamar’s Children.

Pratique prenant en compte les psychotraumatismes

Le traumatisme fait référence à l’expérience d’une menace réelle ou perçue sur la vie ou l’intégrité corporelle d’une personne ou d’un proche. Le traumatisme provoque un sentiment écrasant de terreur, d’horreur, d’impuissance et de peur. Le traumatisme « ponctuel » implique l’expérience d’un événement unique au cours duquel une personne a été menacée, tandis que le « traumatisme complexe » fait référence à un stress cumulatif, répétitif et généré par la personne elle-même (par exemple, des abus continus dans le contexte de relations familiales ou intimes).

Compte tenu de la nature de la population pénale, une grande partie d’entre eux auront probablement subi des traumatismes importants au cours de leur vie.

Les enfants issus de milieux négligents ou abusifs, ce qui est relativement courant parmi les populations délinquantes, éprouvent généralement des sentiments de dévalorisation, d’appréhension, de colère, de peur, d’isolement et de solitude. Ces sentiments peuvent entraîner des difficultés à établir et à maintenir des relations, à faire confiance aux autres ou à s’engager dans une affection significative et saine avec les autres.

Impacts du traumatisme :

  • Symptômes émotionnels (anxiété, peur, cauchemars, tristesse, isolement, dévalorisation, impuissance, culpabilité, honte, colère, troubles du sommeil)
  • Symptômes comportementaux et cognitifs (confusion, difficultés de concentration, retrait des autres, méfiance à l’égard des autres, perte d’intérêt pour les activités, évitement).

Les pratiques tenant compte des traumatismes font référence aux services qui sont conscients et sensibles à la dynamique des traumatismes. Malgré la prévalence des traumatismes dans notre société, de nombreuses personnes et organisations qui fournissent un soutien professionnel ne prennent pas en compte ou ne reconnaissent pas l’impact des traumatismes, et ne réagissent donc pas de manière sensible à l’expérience d’un individu.

Dans les établissements pénitentiaires en particulier, les individus peuvent souffrir de troubles de l’identité, de dysrégulation des affects, de difficultés relationnelles et ont souvent fait l’objet de plusieurs diagnostics antérieurs (par exemple, trouble de la personnalité limite, trouble intellectuel). L’intégration d’une approche des soins et de la facilitation tenant compte des traumatismes est donc très importante dans le contexte pénitentiaire. Une pratique tenant compte des traumatismes reconnaît l’importance des traumatismes pour l’individu et leur impact sur son bien-être émotionnel, psychologique et social. Si le traumatisme est négligé ou n’est pas traité avec sensibilité, il y a un risque de préjudice ou de retraumatisation pour l’individu et l’efficacité du traitement en cours s’en trouve réduite.

Objectifs d’une pratique tenant compte des traumatismes :

  • Créer un sentiment de contrôle et de responsabilisation, permettant aux individus de commencer à guérir et à aller de l’avant par rapport à leur victimisation passée.
  • Créer un environnement physiquement, émotionnellement et culturellement sûr pour toutes les personnes impliquées, en minimisant le potentiel de préjudice supplémentaire ou de retraumatisation.
  • Aider les individus à développer des méthodes prosociales et saines pour gérer les émotions fortes.

Cinq principes clés de la pratique éclairée par les traumatismes :

  1. Sécurité – Les professionnels et les bénéficiaires se sentent physiquement et psychologiquement en sécurité.
  2. Confiance (et transparence)- Les sentiments de méfiance, en particulier à l’égard des figures d’autorité, sont fréquents. Le traitement doit donc être fondé sur la transparence et l’ouverture, dans le but d’instaurer la confiance et la sécurité.
  3. Choix – Le choix dans le traitement permet aux clients de reprendre le contrôle de leur vie. Bien que le choix soit limité pour les clients sous mandat judiciaire, les professionnels doivent être attentifs aux possibilités d’offrir un choix aux bénéficiaires, par exemple en ce qui concerne l’heure et le lieu des rendez-vous, les objectifs du traitement, les stratégies de traitement préférées, etc.
  4. Collaboration – Développer un partenariat avec les bénéficiaires pour comprendre leurs besoins, favoriser le respect, l’efficacité et la dignité. La collaboration fait également référence au service au niveau de l’organisation, où toutes les politiques et interactions avec les personnes doivent se faire dans un cadre tenant compte des traumatismes.
  5. Pouvoir d’agir-Autonomisation – Les personnes ayant subi un traumatisme peuvent se sentir impuissantes et désespérées dans leur situation actuelle. Permettre à la personne de jouer un rôle actif dans le traitement en s’appuyant sur ses propres forces peut favoriser la résilience, le rétablissement et la guérison.

Et ajoutons un 6e critère: (Enjeux culturels, historiques et liés au genre) : Ce sixième aspect est noté intelligemment par Janssen (2018), mais absent, quoique discuté, dans d’autres articles, dont celui de Levenson (2017). Il est indispensable de penser aussi aux traumas ou EME vécus par l’individu sur le plan culturel (p. ex., autochtones), historique (p. ex., violence intergénérationnelle) ou « genral » (p. ex., être intimidé et mégenré pendant plusieurs années).

Aborder les traumatismes révélés au cours du traitement :

  • Prendre en compte et valider les sentiments et les expériences des personnes
  • Reconnaître directement le traumatisme de la personne et y répondre avec empathie.
  • Éviter de demander trop de détails sur le traumatisme (évoquer des sentiments forts dans un contexte inapproprié peut conduire à une nouvelle traumatisation).
  • Respecter les révélations des persones (éviter de minimiser l’importance des expériences des individus)
  • Encourager l’auto-efficacité et donner aux personnes les moyens de contrôler leur vie actuelle.
  • Encourager une vision optimiste et pleine d’espoir de l’avenir.
  • Être conscient que les expériences antérieures d’une personne peuvent influencer sa volonté de s’engager dans un traitement ou une alliance thérapeutique.
  • Aider la personne à replacer ses problèmes dans le contexte de sa victimisation passée.

Comment développer une relation thérapeutique bénéfique :

  • Aborder toutes les relations thérapeutiques en tenant compte des traumatismes (que la personne  se présente ou non comme ayant vécu un traumatisme).
  • Donner la priorité à l’engagement et à l’établissement de rapports dès le début du traitement (les personnes peuvent essayer de recréer une dynamique relationnelle problématique à laquelle ils sont habitués).
  • Créez un environnement thérapeutique sûr pour la personne et pour vous-même.
  • Faire preuve de transparence, d’authenticité, de cohérence et de fiabilité
  • Veillez à rester dans votre rôle et à maintenir des limites (le sentiment d’urgence d’un individu peut conduire les cliniciens à agir d’une manière qui dépasse leur rôle).
  • Travaillez sur les ruptures de la relation (par exemple, lorsque les personnes tentent de saboter la relation d’aide).
  • Favoriser un environnement calme dans lequel la personne peut éviter le stress et accéder à un fonctionnement d’ordre supérieur (par exemple, utiliser des techniques d’ancrage et de pleine conscience, encourager l’exercice physique).
  • Essayez de prévoir les périodes de déstabilisation et planifiez en conséquence (cela peut aider les personnes à se sentir contenus).
  • Soyez conscient de la manière dont l’environnement de prise en charge peut affecter les personnes (par exemple,elles peuvent être sensibles aux aspects sensoriels de la pièce tels que le niveau de bruit, la capacité à voir les autres ou à ce que les autres les voient).
  • Prendre soin de soi régulièrement (si vous ne pouvez pas vous contrôler, vous ne pouvez pas aider les personnes à se contrôler).
  • Accéder régulièrement à la supervision
  • Veiller à ce que le traitement soit sûr sur le plan culturel (comprendre tous les facteurs susceptibles d’influencer les besoins/la présentation de la personne).