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FRANCE CULTURE (Mardi 23 août 2022 ) Prisons : qu’autoriser pour réinsérer ?

Résumé

Le 27 juillet, des olympiades mêlant détenus et surveillants ont eu lieu à la prison de Fresnes. « Laxisme total » selon le Rassemblement National, « Images choquantes » selon le Garde des Sceaux : la polémique fait rage. Mais que faut-il permettre pour réinsérer ?

avec :

Philippe Gosselin (député Les Républicains de la Manche), Dominique Simonnot (Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté), Karim Mokhtari (Directeur des programmes et de la formation à l’association « 100 murs » et ancien détenu).

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Pour cette émission du Temps du Débat, Quentin Lafay reçoit Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Karim Mokhtari, ancien détenu et directeur de l’association « 100 murs » et Philippe Gosselin, député Les Républicains de la Manche.

Que penser de la polémique issue des olympiades organisées à la prison de Fresnes ? Peuvent-elles être considérées comme des activités de réinsertion ? Pour Karim Mokhtari : « Les activités en prison représentent la pierre angulaire du processus de réinsertion. Rappelons que l’évènement organisé à Fresnes est avant tout un engagement solidaire et associatif. Son objectif est de montrer que les détenus peuvent s’engager et être utiles, même depuis la prison. Je pense que toutes les activités peuvent favoriser la réinsertion à partir du moment où on y met des objectifs pédagogiques. Ajoutons que les olympiades que nous avons pu observer à Fresnes relèvent de l’exception et ne sont pas du tout représentatives des activités menées dans l’ensemble de l’univers carcéral et pénitencier.« 

Selon les dernières informations, un détenu coupable d’un viol faisait parti des participants de l’évènement. Faut-il différencier les activités proposées en fonction des détenus ? Dominique Simonnot ironise : « J’avoue que ça a été une horrible surprise pour moi de découvrir qu’en prison, il y avait des gens coupables d’effractions. Des détenus qui purgent des longues peines ont accès à des activités pour la simple et bonne raison qu’ils sortiront un jour, c’est le principe du processus de réinsertion. » Karim Mokhtari ajoute : « L’administration pénitentiaire n’a pas vocation de condamner ou de juger les individus. Sa principale mission est d’exécuter les peines et de prévenir la récidive.« 

A quoi sert le travail en prison ? Philippe Gosselin explique : « Le travail en prison aide à préparer la sortie des détenus. Certains mettent à profit leur incarcération en réalisant une formation professionnelle comme un CAP. Homme de droite, je suis convaincu que le travail a des vertus : c’est notamment un moyen de retrouver sa dignité. Rappelons qu’un détenu sur sept n’a jamais travaillé et que 75% des incarcérés ont quitté le système scolaire avant leur majorité. »

Karim Mokhtari rappelle que « les détenus sont en demande de travail. On note d’ailleurs une grande précarité économique parmi les détenus. Je suis d’accord, le travail permet de retrouver une certaine dignité. Cependant, pour cela, il faudrait que les taux de rémunération soient à la hauteur. Pour ceux pour qui travailler en prison représente une première expérience professionnelle, cela ressemble plus à de l’exploitation par l’activité économique que du travail ordinaire. Redonner de la dignité aux détenus passe par de la cohérence avec ce que l’on leur propose en termes d’activité et d’emploi. »

Pour rappel, la rémunération des détenus atteint au maximum 45% du SMIC. De plus, le Code du travail de l’administration pénitentiaire n’est pas lié au Code du travail.

https://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/18722-23.08.2022-ITEMA_23111356-2022C36267S0235-21.mp3

FRANCE INTER (Lundi 22 août 2022) Les lois dures font-elles baisser significativement la criminalité ?

Résumé

Le débat de midi s’intéresse aux lois pour lutter contre la petite comme la grande délinquance : les lois les plus restrictives sont-elles les plus efficaces ?

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Face aux rodéos urbains, qui ont de nouveau fait l’actualité cet été, une loi a été mise en place en 2018, “renforçant la lutte contre les rodéos motorisés”. Avec cette loi, le rodéo, qui n’était jusque-là qu’une simple infraction au code de la route, devient un délit, passible d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. On peut donc s’interroger, malgré le renforcement de la loi, que quatre ans plus tard, les rodéos continuent. Quelle est donc l’efficacité de cette loi, mais aussi de toutes les autres, qui viennent durcir les dispositifs qui existent déjà ?

En 2021, deux criminologues américains ont travaillé sur un ensemble de lois aux Etats-Unis, et leur conclusion est la suivante : « augmenter la sévérité des peines n’est pas une approche efficace pour réduire la délinquance.” Et de nombreux chercheurs partagent leur analyse.

Peut-être un signe qu’en matière de sécurité, l’approche en France a assez peu évolué. De fait, en 1980, Alain Peyrefitte, le ministre de l’Intérieur de l’époque, prononçait ces mots : “La prévention ne porte ses fruits qu’à long terme. Et devant la montée de la violence, il est impossible d’attendre. La peur du gendarme est le commencement de la sagesse, aujourd’hui comme hier. Encore faut-il que les policiers et les gendarmes se sentent soutenus par tous. Par la justice et par tous aussi”.

40 ans plus tard, ce sont à peu près les mêmes types de formules qui sont employées, jusqu’au nom des lois qui se ressemblent. En 1980, c’était “sécurité et liberté”, en 2021, elle s’appelait “sécurité globale”. Alors même que le taux de criminalité en France est sensiblement le même depuis les années 80, et même en baisse depuis le début des années 2000. Alors les lois les plus dures sont-elles les plus efficaces ?

Quand plus de pénalisation n’entraîne pas moins de récidives

Le sociologue et criminologue Sebastian Roché explique que la France reste très souvent cantonnée dans une approche où la bonne police serait celle qui ferait forcément peur et la bonne justice, celle qui incarcérerait beaucoup plus là ou, ou au contraire, au sein d’autres pays européens (en Angleterre ou dans les pays nordiques), on considère que la police doit au contraire travailler au consentement pour diminuer les taux de récidive puisque, les pays qui ont le moins de délinquants ne sont pas forcément ceux qui ont les plus grandes prisons ou le plus grand nombre de policiers : « Les Etats qui durcissent les lois ne connaissent pas de diminution de la délinquance plus importante que les autres Etats, et les personnes qui sont soumises à des peines plus sévères, et particulièrement les jeunes, ne sont pas moins délinquants après avoir été plus sévèrement condamnés, mais ils sont plutôt plus délinquants et plus récidivistes. Souvent, les personnes veulent entendre un discours de sévérité parce qu’elles croient que ça équivaut à de la protection. Mais le problème, c’est que cette sévérité ne va pas leur apporter de protection dans les faits« .

Samra Lambert, juge d’application des peines au Tribunal de Justice de Créteil, rappelle au passage que le volet répressif n’est qu’un aspect de la réponse à apporter puisque « les chiffres et études qui sont avancés montrent une chose, c’est que la pénalisation, ça n’a pas modifié les pratiques. Il faut sortir de cette conception uniquement répressive puisque cela ne fonctionne pas. On parle d’un fait social avec une vision pénaliste, donc une vision court-termiste et en plus contreproductive. On y donne une réponse uniquement de sanction, sans prendre en compte justement toute cette acception beaucoup plus large qui nécessiterait de mettre en place des politiques publiques et d’investir un autre champ que celui que le volet répressif« .

La surpopulation carcérale en lien avec une surpénalisation ?

La réalité de cet empilement législatif et de l’empilement des infractions pénales, c’est une inflation carcérale estime la juge d’application : « Il y a de plus en plus de faits qui sont pénalisés, de plus en plus de personnes en prison. La France est le seul pays européen qui a vu sa population pénale augmenter« .

La suite à écouter…

  • Sebastian Roché, sociologue et criminologue et auteur de « La Nation inachevée. La jeunesse face à l’école et la police » aux éditions Grasset (2022)
  • Samra Lambert, juge d’application des peines au Tribunal de Justice de Créteil et secrétaire nationales du Syndicat de la Magistrature
  • Jean-Philippe Deniau, journaliste, chef du service Police Justice à France Inter. Président de l’association confraternelle de la presse judiciaire (APJ)
  • Stéphane Liévin, policier et vice-président de l’association « Agora des citoyens, de la police et de la justice »

 

Tom TYLER (1990) Why people obey the law (Yale University)

Les gens obéissent à la loi s’ils la croient légitime, et non parce qu’ils craignent d’être punis – telle est la conclusion surprenante de l’étude classique de Tom Tyler. Tyler suggère que les législateurs et les responsables de l’application des lois feraient bien mieux de rendre les systèmes juridiques dignes de respect plutôt que d’essayer d’instiller la peur du châtiment. Il constate que les gens obéissent à la loi principalement parce qu’ils croient au respect de l’autorité légitime.

Tom R. Tyler est professeur à l’université de New York, où il enseigne au département de psychologie et à la faculté de droit. Il étudie l’exercice de l’autorité dans les groupes, les organisations et les sociétés. Parmi ses nombreux ouvrages figurent The Social Psychology of Procedural Justice, Social Justice in a Diverse Society, Cooperation in Groups et Trust in the Law.

 

Introduction:

Le premier objectif de cet ouvrage est d’opposer les perspectives instrumentales et normatives sur les raisons pour lesquelles les gens respectent la loi. La perspective instrumentale du citoyen est à la base de ce que l’on appelle la littérature sur la dissuasion : on considère que les gens façonnent leur comportement pour répondre à des changements dans les incitations et les sanctions tangibles et immédiates associées au respect de la loi – à des jugements sur les gains et les pertes personnels résultant de différents types de comportement. Par exemple, l’augmentation de la sévérité et de la certitude de la punition pour avoir commis un crime a souvent été considérée comme un moyen efficace de réduire le taux de commission de ce crime. Lorsque les responsables politiques réfléchissent à la manière d’obtenir la conformité, ils adoptent souvent implicitement une perspective instrumentale.

Bien que la perspective instrumentale ait dominé les examens récents des réactions des citoyens à la loi et aux autorités légales, cette étude explore la conformité d’un point de vue normatif. Elle s’intéresse à l’influence de ce que les gens considèrent comme juste et moral, par opposition à ce qui est dans leur intérêt personnel. Elle examine également le lien entre l’engagement normatif envers les autorités légales et le comportement respectueux de la loi. Si les gens considèrent que le respect de la loi est approprié en raison de leurs attitudes sur la façon dont ils devraient se comporter, ils assumeront volontairement l’obligation de suivre les règles juridiques. Ils se sentiront personnellement engagés à obéir à la loi, qu’ils risquent ou non d’être punis pour avoir enfreint la loi. Cet engagement normatif peut faire intervenir la moralité personnelle ou la légitimité. L’engagement normatif par le biais de la moralité personnelle signifie que l’on obéit à une loi parce que l’on estime que la loi est juste ; l’engagement normatif par le biais de la légitimité signifie que l’on obéit à une loi parce que l’on estime que l’autorité qui applique la loi a le droit de dicter un comportement.

http://www.psych.nyu.edu/tyler/lab/Chapters_1-4.pdf

 

FRANCE INTER, Emission « Permis de Penser » (décembre 2015): « Penser la vérité judiciaire »

 » Ce qu’on cherche, on le trouve. ce qu’on néglige nous échappe » dit Créon à Oedipe dans le texte de Sophocle. Et ce que nous recherchons depuis l’Antiquité, n’est-ce pas la vérité? Qui détient la Vérité? Les prêtres et les rois l’ignorent. Les dieux et le devins la cachent. Pour Oedipe, elle gît au fond d’une cabane où vit un esclave qui a vu la naissance d’Oedipe et qui est justement le seul des témoins à avoir survécu au meurtre de Laios. Mais à quoi sert la vérité?

La cité grecque avait besoin de la vérité comme principe de partage. Aujourd’hui encore et peut-être encore plus aujourd’hui nous sommes toujours en quête de discours de vérité. Pourquoi sans vérité, nous sentons-nous menacés? Aurait-elle à voir avec la pureté? Y a-t-il plusieurs types de vérité? Comment se construit-elle?

La démonstration de vérité n’est-elle pas plus que jamais, en ces temps ô combien troublés, une tâche politique? Comment y parvenir?

Au moment de l’adoption par le Parlement et le sénat du projet de réforme de la justice de la Ministre Christiane Taubira, et du colloque organisé par le barreau de Paris intitulé « Toute la vérité », nous avons invité:

Antoine Garapon, Magistrat. Secrétaire général de l’Institut des hautes études sur la justice (IHEJ); Ancien juge des enfants.

A dirigé la rédaction d’un rapport commandé par la garde des sceaux en vue de sa réforme des institutions judiciaires, intitulé : « La prudence et l’autorité : l’office du juge au XXIe siècle. «

Auteur de nombreux ouvrages :

  • La procédure et l’autorité : juges et procureurs du 21 eme siècle. Editions Odile Jacob.
  • Les Nouvelles Sorcières de Salem. Leçons d’Outreau (avec Denis Salas, Seuil, 2006)

Thierry Lévy: Avocat au barreau de paris.

Dix jours avant le début de l’examen de la réforme pénale au Parlement, Christiane Taubira a souhaité présenter la finalité du projet de loi et ses principaux axes à des personnalités issues de la société civile et du monde judiciaire.

FRANCE CULTURE; Emission » le bien commun » (23/01/2014) Albert Camus : pour une justice sans jugement

Les théories contemporaines de la justice réduisent souvent celle-ci à l’exercice d’un jugement, un jugement qui vise à une équivalence juste entre la faute et le châtiment, le dommage et son indemnisation, le tort et sa réparation. Au risque de refouler ce que l’on pourrait appeler la « part maudite » du jugement qui n’a d’autre possibilité que de reconduire le mal, que de répliquer par la souffrance de la peine à la violence du crime, que de stigmatiser, d’exclure et de séparer.

Que faire de cette part intraitable du jugement qui menace de défigurer la justice ?

Cette question n’a cessé de hanter Albert Camus, après tant d’autres comme Kafka et bien sûr Nietzsche. Comment non seulement imaginer mais mettre en œuvre une justice sans jugement ?

C’est la question dont traite un livre qui vient de sortir, qui revisite l’œuvre d’Albert Camus sous ce prisme : « Qui témoignera pour nous ? Albert Camus face à lui-même ».

 Invité(s) : Paul Audi, philosophe

Anne Wyvekens (2010) La rétention de sûreté en France : une défense sociale en trompe-l’œil (ou les habits neufs de l’empereur)

Anne Wyvekens, Centre d’études et de recherches de sciences administratives et politiques (CERSA/CNRS-Université Paris 2), Facultés universitaires Saint-Louis

La loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté (et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental) a fait couler beaucoup d’encre. Juristes et psychiatres s’accordent pour y voir un basculement dans la façon dont la loi pénale française envisage les rapports entre délinquance et trouble mental, entre sanction et soin. Les premiers, qu’ils en approuvent ou en déplorent le contenu, évoquent, qui une double révolution en droit pénal français (Pradel, 2008), qui une rupture en politique criminelle (Lazerges, 2008). Les assises mêmes du droit pénal sont en cause, n’hésite pas à affirmer un troisième auteur (Mayaud, 2008). Quant aux psychiatres, ils s’inquiètent d’une confusion extrême entre le soin et la peine et du risque de détourner la psychiatrie publique de sa mission qui est bien celle de soigner les malades mentaux (Senon, Manzanera, 2008).
Punir les malades mentaux ? Soigner les délinquants? Deux professions s’interrogent, s’inquiètent. Sans refaire l’histoire des rapports entre justice (pénale) et psychiatrie, à l’intersection des deux champs, dans celui, interdisciplinaire, de la réflexion criminologique, on voudrait proposer une lecture «transversale» de la loi, en posant la question de savoir si et dans quelle mesure on peut y voir non seulement la «découverte» de la dangerosité mais également la mise en œuvre d’une logique de défense sociale. La législation pénale française n’a jusqu’ici été que modérément influencée par cette doctrine d’inspiration positiviste. Toutefois, ces évolutions récentes, culminant dans la dite loi (25 février 2008), présentent un certain nombre de traits qui y renvoient nettement (I). À l’analyse, la « rupture» évoquée, bien réelle sur le plan des principes, renvoie moins à une politique qu’à une rhétorique dissimulant mal la difficulté de répondre à la question soulevée.

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