Continuer à utiliser le Rorschach en contexte judiciaire est non seulement non conforme aux recommandations mais c’est aussi un manquement déontologique!
James Wood (Université du Texas), après avoir écrit plusieurs articles dans les meilleures revues de psychologie scientifique, a publié en 2003 avec trois collègues, M. Nezworski, S. Lilienfeld et H. Garb, un livre qui a fait date : What’s wrong with the Rorschach ? (Jossey-Bass, 446 p.). À la suite d’un grand nombre de chercheurs, ils ont confirmé que le Rorschach manque de « fidélité » (les évaluateurs font des diagnostics différents), qu’il a très peu de validité (les diagnostics ne correspondent pas ou peu à ce qui apparaît de façon observable) et n’a guère d’utilité (on peut certes constater dans les réponses au Rorschach des indices de graves troubles mentaux comme la schizophrénie, mais tout psy compétent diagnostique aisément ces troubles sans ce test).
Des recherches rigoureuses ont montré que le Rorschach est totalement contre-indiqué pour des expertises, notamment judiciaires. Il pathologise de façon flagrante (peu de personnes échappent à des étiquetages du genre : narcissisme, dépendance, sexualité problématique, homosexualité refoulée, etc.)
Depuis sa création il y a plus de quatre-vingts ans, le célèbre test de la tache d’encre de Rorschach est devenu une icône de la psychologie clinique et de la culture populaire. Administré plus d’un million de fois dans le monde chaque année, le Rorschach est utilisé pour évaluer la personnalité et la maladie mentale dans un large éventail de circonstances : litiges concernant la garde d’enfants, décisions de placement scolaire, procédures d’emploi et de licenciement, décisions de libération conditionnelle, et même enquêtes sur des allégations de maltraitance d’enfants. L’énorme pouvoir de ce test façonne la vie de centaines de milliers de personnes, souvent à leur insu. Dans les années 1970, ce test notoirement subjectif a été soi-disant systématisé et amélioré. Mais le Rorschach est-il plus qu’une variante moderne de la lecture des feuilles de thé ? Le livre « What’s Wrong With the Rorschach » remet en question la validité et l’utilité du Rorschach et explique pourquoi les psychologues continuent de juger les gens en fonction de leurs réactions aux taches d’encre, malgré un demi-siècle de preuves scientifiques largement négatives. Le livre « What’s Wrong With the Rorschach » propose une critique provocante de l’un des tests psychologiques les plus largement appliqués et influents – et toujours intensément controversés – dans le monde d’aujourd’hui. S’appuyant sur plus de cinquante ans de recherches cliniques et universitaires, les auteurs apportent des preuves scientifiques irréfutables que le Rorschach est relativement peu utile pour diagnostiquer les maladies mentales, évaluer la personnalité, prédire le comportement ou découvrir les abus sexuels ou d’autres traumatismes. Dans ce récit romanesque très engageant sur les origines et l’histoire du Rorschach, les auteurs détaillent l’abondance de preuves scientifiques démontrant que le test est d’une utilité discutable pour la prise de décision dans le monde réel. « What’s Wrong With the Rorschach ? » présente un argumentaire puissamment raisonné contre l’utilisation du test dans la salle d’audience ou la salle de consultation – et révèle les forces psychologiques, économiques et politiques puissantes qui continuent à soutenir le Rorschach en dépit de la recherche qui a exposé ses lacunes et ses dangers. James M. Wood (El Paso, TX) est professeur associé au département de psychologie de l’université du Texas à El Paso. M. Teresa Nezworski (Dallas, TX) est professeur associé au département de psychologie de l’université du Texas à Dallas. Scott O. Lilienfeld (Atlanta, GA) est professeur associé de psychologie à l’université Emory d’Atlanta. Howard N.Garb (Pittsburgh, PA) est membre de la faculté de l’Université de Pittsburgh et auteur de Studying the Clinician : Judgement Research and Psychological Assessment.
Voir aussi sur le sujet:
Résumé
L’affaire F c. Bevándorlási és Állampolgársági Hivatam (2018) porte sur l’admissibilité des preuves obtenues à l’aide de tests projectifs de personnalité. La Cour de justice de l’Union européenne a estimé que le rapport d’un expert ne peut être accepté que s’il est fondé sur les normes de la communauté scientifique internationale, mais s’est abstenue de stipuler quelles sont ces normes. Il semble opportun que les psychologues européens décident des normes à appliquer pour déterminer si un test est approprié ou non pour une utilisation psycholégale. Nous proposons des normes et les appliquons ensuite au Rorschach parce qu’il a été utilisé dans cette affaire et qu’il est un exemple de tests projectifs. Nous concluons que le Rorschach ne répond pas aux normes proposées et que les psychologues devraient s’abstenir de l’utiliser dans les procédures judiciaires, même en l’absence d’une interdiction judiciaire claire.
L’objectif principal de ce guide est de sensibiliser les professionnels de C-InT à l’évaluation des risques de violence (ERV ou violence risk assessment (VRA)) et à l’évaluation des menaces (EM ou threat assessment (TA)), ainsi qu’à la valeur des outils de jugement professionnel structuré (JPS ou structured professional judgment (SPJ)) utilisés pour faciliter ces évaluations, afin de contrer plus efficacement les menaces potentielles. Tout au long de ce guide, nous utilisons à dessein les termes d’évaluation du risque de violence et d’évaluation de la menace pour désigner deux stratégies de prévention de la violence distinctes mais complémentaires. L’ERV est l’examen systématique des facteurs de risque statiques et dynamiques dans la situation d’un sujet afin d’évaluer la nature et la probabilité d’une violence générale ou d’une violence dans un domaine spécifique (par exemple, la violence sexuelle ou la violence domestique/du partenaire intime [VPI ou /intimate partner violence [IPV]) ; le TA est l’évaluation systématique, fondée sur des données probantes, de plusieurs sources d’information concernant les schémas de pensée et de comportement d’un sujet afin de déterminer dans quelle mesure le sujet se dirige vers une attaque spécifique et ciblée. Dans le présent guide, les deux stratégies sont parfois désignées collectivement (« évaluation du risque de violence et de la menace ») et parfois individuellement (« VRA » ou « TA»).
Ce guide commence par une vue d’ensemble du risque de violence et de l’évaluation de la menace, ainsi que de l’émergence et de l’évolution de ces deux stratégies. Il se concentre ensuite sur la façon dont cette évolution a conduit à l’approche du SPJ et sur la façon dont les outils ont été développés pour soutenir les évaluations du SPJ. Enfin, le guide décrit et passe en revue une sélection d’outils SPJ. Ce guide est conçu pour informer ; il ne s’agit pas d’un guide « pratique » et il n’est pas conçu pour former, certifier ou équiper des évaluateurs compétents en matière de risques ou de menaces de violence. Pour être clair, ce guide est conçu pour informer ; il ne s’agit pas d’un guide « pratique » et il n’est pas conçu pour développer, certifier ou équiper des évaluateurs compétents du risque de violence ou de la menace. La sensibilisation seule ne vous qualifie pas pour effectuer des évaluations du risque de violence et de la menace, ni pour utiliser les outils du SPJ dont il est question ici. L’évaluation du risque de violence et de la menace nécessite une expertise acquise grâce à une combinaison d’études, de formation et d’expérience supervisée. Vous devez demander l’aide de professionnels qualifiés de l’ERV ou de l’AT dans les situations d’évaluation. Enfin, ce guide se concentre spécifiquement sur les stratégies d’évaluation du risque de violence et de la menace, et non sur l’ensemble des questions d’enquête, notament en matière de contre espionnage.
Fiabilité et validité des outils SPJ
Bien que les outils SPJ soient des mesures d’évaluation, ils ne sont pas des « tests » au sens classique du terme. De nombreux tests classiques utilisent une notation normalisée et standardisée. Ce type de test consiste à comparer le score d’un cas donné à une distribution de scores.
Ce type de test consiste à comparer le score d’un cas donné à une distribution de scores provenant d’un échantillon plus large. La distribution des notes est la norme.
La plupart des outils du SPJ découragent ce type de notation et, nous recommandent de ne pas utiliser de notes numériques. Ce qui est important, cependant, c’est de savoir si les outils d’évaluation du risque de violence sont fiables et valides.
Les sous-sections suivantes ont pour but de vous familiariser avec les concepts de base de la fiabilité et de la validité et de fournir un contexte pour la compréhension des outils examinés dans la section 4 de ce guide : Outils SPJ pour l’évaluation du risque de violence chez les adultes.
Comprendre la fiabilité et la validité des outils SPJ. Fiabilité
La meilleure façon d’envisager la fiabilité d’un outil de JPS est de penser à la cohérence. Il existe différentes façons de mesurer ou d’évaluer la cohérence et, par conséquent, différents types de fiabilité. La fiabilité inter-évaluateurs (Accord inter juges AIJ) est peut-être la mesure de fiabilité la plus importante pour les outils SPJ. L’AIJ mesure l’accord (c’est-à-dire la cohérence) entre deux ou plusieurs évaluateurs lorsqu’ils évaluent le même cas en utilisant les mêmes informations.
Lorsque l’AIJ d’un outil de JSP est élevé, les jugements des différents évaluateurs sur la présence ou l’absence d’un risque spécifique sont plus cohérents.
Les coefficients de corrélation intraclasse (CCI) et le Kappa de Cohen sont les mesures souvent utilisées pour évaluer la cohérence entre les différents outils de JSP.
sont les mesures souvent utilisées pour évaluer la cohérence entre les différents évaluateurs. LES VALEURS DE L’AIJ et le Kappa de Cohen sont tous deux compris entre 0 et 1 et sont souvent évalués comme suit (Cicchetti et al., 2006) :
< 0,4 = Léger
0,4-0,59 = Moyen/Modéré
0,60-0,74 = Bon
> 0,75 = Excellent
Validité
La validité représente la mesure dans laquelle un outil mesure ce qu’il est censé mesurer. Comme pour la fiabilité, il existe différents types de validité. La validité liée aux critères est probablement le type le plus important pour l’évaluation des outils SPJ. La validité liée à un critère démontre dans quelle mesure les scores/résultats de l’outil SPJ par rapport à un résultat spécifique (par exemple, la violence dans la communauté) ou à une autre mesure (par exemple, un autre outil d’évaluation du risque).
(par exemple, un autre outil d’évaluation du risque). Le test le plus rigoureux de la validité liée aux critères pour les outils SPJ est la validité prédictive. La validité prédictive évalue dans quelle mesure les résultats de l’outil SPJ permettent de prédire un futur comportement violent. En examinant les recherches sur les outils SPJ, vous constaterez que l’une des approches analytiques les plus populaires pour évaluer la validité prédictive est la technique appelée receiver operating characteristic (ROC).
Les résultats de l’analyse ROC sont présentés sous la forme d’une aire sous la courbe (AUC). La valeur de l’aire sous la courbe (AUC) représente essentiellement la probabilité qu’une personne tirée au hasard du groupe violent ait un « score » plus élevé sur l’outil qu’une autre personne tirée au hasard dans le groupe des non-violents. Ainsi, une AUC de 0,65 signifie qu’il y a environ 65% de probabilité qu’un sujet violent de l’échantillon ait un score plus élevé qu’un sujet non violent. Les AUC peuvent varier de 0,50, ce qui signifie que l’outil ne peut distinguer les résultats violents et non violents qu’au niveau du « hasard » (c’est-à-dire à pile ou face), jusqu’à 1,0, ce qui signifie que l’outil fait une distinction parfaite entre les deux groupes. Pour les outils SPJ, les AUC significatives se situent généralement entre 0,60 et 0,70. Bien que ces chiffres paraissent faibles, il est possible que les outils de SPJ aient une AUC significative. »Après presque cinq décennies de développement d’outils de prédiction du risque, les preuves suggèrent de plus en plus que le plafond de l’efficacité prédictive a peut-être été atteint avec la technologie disponible » (Yang, Wong, & Coid, 2010, p. 759).
Le traitement de la délinquance sexuelle fonctionne-t-il ? (Tyler, Gannon, Olver 2021)
L’efficacité des traitements des AICS a souvent été questionné. L’artcile ici reprend les donées les plus récents pour répondre à cette question: le traitement de la délinquance sexuelle fonctionne t-il? Mais encore sur les personnels les plus appropriés pour délivrer ces intervention, sur l’effcicaité des groupes vs individuel, sur le « dosage » des interventions, sur l’importance des CCP dans la délivrance des programmes… une recension des écrits indispensable à lire!
Conclusions
« D’une manière générale, les recherches récentes suggèrent que le traitement psychologique spécifique des infractions sexuelles a un certain effet sur la réduction de la récidive sexuelle et générale et que les résultats peuvent être optimisés sous certaines conditions, par exemple en adhérant aux principes RBR, en incorporant des principes cognitivo-comportementaux, y compris le reconditionnement comportemental pour l’excitation sexuelle inappropriée, en faisant participer un psychologue agréé à la mise en œuvre du traitement, en assurant la supervision du personnel du programme et en mettant en œuvre le traitement dans des environnements communautaires. En outre, les personnes classées comme présentant un risque élevé et qui s’engagent volontairement dans le traitement (c’est-à-dire qui ne sont pas obligées d’y participer) sont susceptibles de réaliser les gains les plus importants. En revanche, l’utilisation du détecteur de mensonges dans le cadre du traitement et la supervision mixte par un psychologue et un praticien non psychologue se sont avérées associées à de moins bons résultats. Il semble également que l’achèvement partiel ou incomplet du traitement ait des effets néfastes, conformément à la littérature générale sur le traitement correctionnel. Bien que les recherches existantes nous fournissent certains indicateurs sur les conditions nécessaires à la réussite du traitement, il y a un manque d’accord entre les études concernant certains facteurs, tels que le mode de prestation (par exemple, en groupe ou individuel), le moment du traitement et l’intensité du traitement, tandis que d’autres facteurs de traitement ont été négligés jusqu’à présent (par exemple, la composition homogène ou hétérogène du groupe, les qualifications du thérapeute et le ratio thérapeute-client) [26-]. Les recherches futures gagneraient à explorer plus avant les ingrédients clés d’un traitement réussi ainsi que le rôle des caractéristiques individuelles, afin de déterminer « ce qui fonctionne le mieux pour qui? » En particulier, davantage d’études différentielles de haute qualité sont nécessaires pour permettre de tirer des conclusions plus solides sur les effets plus larges du traitement, pour trancher le débat sur l’impact de certaines caractéristiques du traitement lorsque les résultats actuels sont contradictoires ou peu concluants, ainsi que pour poursuivre le développement des connaissances sur « ce qui fonctionne le mieux pour qui » ».
Outil d’évaluation HITS (Kevin Sherin MD, MPH) : Un outil de dépistage de la violence domestique à utiliser dans la communauté
HITS
Ces 12 derniers mois, à quelle fréquence votre partenaire vous a :
Jamais
1
Rarement
2
Parfois
3
Assez souvent
4
Fréquemment
5
Physiquement Frappé
Insulté ou mal parlé
Menacé de vous faire du mal physiquement
Crié dessus ou proféré des jurons
Il s’agit d’un questionnaire en quatre points qui demande aux répondants à quelle fréquence leur partenaire les a physiquement blessés, insultés, menacés de leur faire du mal et leur a crié dessus. Ces quatre éléments forment l’acronyme HITS. La réponse à chaque question se fait sur une échelle de 5 points : 1=jamais, 2=rarement, 3=parfois, 4=assez souvent, 5=fréquemment. Les scores vont de 4 à un maximum de 20.
Un score supérieur à 10 est considéré comme positif.
Contexte et objectifs : « La violence domestique est un problème important qui n’est souvent pas reconnu par les médecins. Nous avons conçu un instrument court pour le dépistage de la violence domestique qui pourrait être facilement mémorisé et administré par les médecins de famille ».
L’échelle HITS a montré une bonne cohérence interne et une validité concurrente avec les items d’agression verbale et physique du CTS. L’échelle HITS a également montré une bonne validité de construction dans sa capacité à différencier les patients de médecine familiale des victimes d’abus. L’échelle HITS est prometteuse en tant que moyen mnémotechnique de dépistage de la violence domestique pour les médecins de famille et les résidents.
Cotation:
Le questionnaire Woman Abuse Screening Tool (WAST) est un outil de dépistage des violences conjugales faites aux femmes, d’origine canadienne, qui a été validé entre autre en anglais et en français. Les réponses sont cotées de 0 (ex:jamais) à 2 (ex:souvent) sur une échelle de Likert. Le score total varie de 0 à 16 .
Un score ≥ 5 pour le questionnaire détermine l’exposition à des violences conjugales.
Les professionnels de santé sous-estiment la prévalence des violences conjugales et peu d’entre
eux déclarent effectuer un dépistage et une prise en charge efficace des victimes. Par ailleurs, ils ne disposent pas d’outil simple et validé en français. Notre objectif était ainsi de valider la version française du questionnaire Woman Abuse Screening Tool (WAST). Matériels et méthodes – Une étude cas-témoins a été réalisée dans le Service de médecine légale du Centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand et dans deux Centres d’information sur les droits des femmes et des familles. Les femmes victimes et non-victimes ont complété le questionnaire WAST et un questionnaire sur leur niveau d’aise pour remplir ce dernier au cours de l’étude et lors d’une consultation hypothétique avec leur médecin traitant. Une analyse des propriétés psychométriques et des performances diagnostiques du WAST a été effectuée. Résultats – L’acceptabilité du WAST a été très bonne avec un taux de réponse supérieur à 95%. Les performances diagnostiques pour une valeur seuil de 5 étaient excellentes : l’aire sous la courbe ROC était de 0,99, la sensibilité de 97,7% et la spécificité de 97,1%. Les niveaux d’aise étaient significativement plus faibles chez les victimes que chez les non-victimes. Les deux groupes étaient plus à l’aise pour compléter le WAST au cours d’une étude que lors d’une consultation.
Discussion – L’outil de dépistage WAST en version française est valide et bien accepté pour identifier les violences conjugales en pratique courante. Il peut aider les professionnels de santé à repérer de manière précoce les femmes subissant des violences et ainsi optimiser leur prise en charge.
Les initiateurs d’Emerge étaient unis dans la conviction que les hommes violents devraient être éduqués pour qu’ils acceptent la responsabilité totale de leur violence et à apprendre un comportement non violent et non coercitif. Cependant, il n’existait pas de modèles existants sur la manière d’y parvenir. Malgré cela, la conception d’Emerge selon laquelle la violence est un comportement appris, par opposition à une maladie mentale, a suggéré plusieurs caractéristiques clés pour le modèle en cours de développement. Comme le montre la description suivante de ces caractéristiques, le modèle Emerge a considérablement évolué au cours des 23 dernières années. Par manque de place, ce qui suit n’est pas une description complète, mais un résumé sélectif des principales caractéristiques.
L’éducation de groupe
Alors que la psychothérapie individuelle tendait à renforcer la perception de la violence domestique comme un problème privé et essentiellement psychologique, Emerge pensait qu’un format de groupe serait le plus à même de promouvoir la reconnaissance de la violence conjugale comme un problème socialement appris. Ce n’est qu’en groupe qu’un homme qui bat reconnaît qu’il n’est pas le seul à avoir ce problème. Un processus de groupe permettrait mieux aux hommes de réexaminer de manière critique les attitudes et les attentes communes qui conduisent à la violence envers les femmes. Emerge a également estimé qu’un format de groupe était essentiel en raison de la possibilité de soutien et de confrontation entre pairs qu’il offrait. Le modèle de groupe a été utilisé avec succès pour traiter d’autres comportements, tels que l’alcoolisme et le jeu, qui ont été redéfinis comme des comportements sociaux. Emerge pensait qu’une approche éducative serait plus familière et moins menaçante pour la majorité des hommes qu’une approche psychothérapeutique. Si très peu d’hommes suivent une thérapie, presque tous ont fréquenté l’école. À l’école, il est également plus facile d’accepter qu’il existe des normes concrètes pour progresser ou ne pas progresser, alors que les critères de progression en thérapie tendent à être plus vagues et subjectifs.
Contact avec les victimes
Depuis le début, le personnel d’Emerge a tenté d’établir un contact téléphonique avec chacune des victimes et/ou des partenaires actuels de nos clients. L’objectif de ce contact était
d’informer les victimes sur les services destinés aux femmes battues, notamment l’hébergement d’urgence, les groupes de soutien, les centres de visite des enfants, les possibilités juridiques et d’autres services ;
d’informer les victimes sur le programme Emerge, y compris sur les limites des programmes d’intervention auprès des agresseurs. Les informations sur le programme sont données pour contrecarrer la tendance de nombreux agresseurs à déformer les objectifs ou les exigences du programme à leurs partenaires. Des informations sur les limites des interventions auprès des agresseurs sont données pour minimiser les faux espoirs que les victimes peuvent avoir quant à la probabilité que leur partenaire change de comportement ;
demander à la victime des informations sur les schémas et les types d’abus passés et actuels de son partenaire. Ces informations aident Emerge à déterminer le niveau de dangerosité de chaque client et la mesure dans laquelle l’agresseur minimise sa violence.
Après le premier contact, qui est établi par un défenseur des femmes battues, des contacts de suivi sont établis par les animateurs de groupe pour solliciter son feedback sur les progrès de l’agresseur. Afin de minimiser tout risque de représailles, les victimes sont assurées de la confidentialité, non seulement en ce qui concerne ce qu’Emerge rapporte à l’agresseur, mais aussi de ce qu’Emerge rapporte au tribunal. Seules les informations que la victime souhaite communiquer à son partenaire sont répétées. Les souhaits des victimes à ce sujet varient : elles ne veulent rien révéler à leur partenaire, elles veulent qu’on leur répète des bribes d’information, elles veulent que leur point de vue soit résumé par les animateurs du groupe.
Indépendamment de la quantité d’informations éventuellement révélées à l’agresseur, les informations fournies par les victimes guident le travail d’Emerge avec les hommes. Les animateurs du groupe Emerge tentent d’établir un contact téléphonique de suivi avec le partenaire de chaque cliente toutes les huit semaines. Cependant, les victimes sont encouragées à prendre contact en cas de problème, et beaucoup le font. Ce contact permanent avec les victimes présente plusieurs avantages. Tout d’abord, le contact avec les victimes s’est avéré être une source de validation et de responsabilisation des victimes. En 1993, Emerge a mené une enquête auprès de 20 femmes dont le partenaire avait participé à Emerge au moins deux ans auparavant. L’objectif de cette enquête était d’en savoir plus sur l’impact des contacts avec les partenaires sur ces derniers. Les 20 femmes interrogées ont toutes déclaré que le contact avec leur partenaire avait été utile. Les avantages les plus fréquemment cités sont les suivants : les femmes se sentent plus en sécurité, elles reconnaissent que la violence n’était pas de leur faute, qu’elle leur permettait de mieux reconnaître la violence en cours, et qu’elles se sentaient généralement confortées dans leur point de vue. De nombreuses femmes ont attribué leur décision de chercher des services de soutien aux encouragements qu’elles ont reçus d’Emerge. De nombreuses femmes qui avaient quitté leur partenaire ont déclaré que les commentaires d’Emerge sur le fait que leur partenaire ne faisait pas suffisamment de progrès, avaient joué un rôle déterminant dans leur décision. D’autres ont déclaré que le simple fait d’être interrogées sur les différents types d’abus commis par leur partenaire les a aidées à prendre conscience de manière plus critique des comportements abusifs et à avoir des attentes plus élevées vis-à-vis de leur partenaire.
Le deuxième avantage du contact avec les victimes est la perspective qu’il apporte aux animateurs d’Emerge. Les récits des victimes sur les abus, ainsi que leur point de vue général, sont généralement très différents de ceux de l’agresseur. Dans les groupes, les agresseurs tentent naturellement de présenter des informations sur leurs relations d’une manière qui suscite la sympathie des autres. La plupart des agresseurs se présentent comme des personnes charmantes et sympathiques, et il est donc facile pour ceux qui n’ont pas été témoins de la violence de ces hommes d’oublier, de minimiser ou d’excuser leur côté violent (Adams 1989). C’est pourquoi les animateurs du groupe Emerge ont trouvé que les contacts périodiques avec les victimes étaient d’une valeur inestimable, car ils permettaient de garder en permanence le point de vue de la victime et de minimiser la capacité de l’agresseur de manipuler les sentiments au sein du groupe.
Co-animation homme-femme
Pour promouvoir l’idée de la responsabilité des hommes dans le changement, les groupes qu’Emerge proposait à l’origine étaient coanimés par des hommes et des femmes. Cela mettait l’accent sur la conviction d’Emerge que les hommes qui ne commentent pas des violences ont beaucoup en commun avec les hommes qui commentent des violences, puisqu’ils partagent un héritage social et culturel commun. Étant donné que tous les hommes ont grandi dans une société sexiste et patriarcale, aucun d’entre eux n’a été complètement exempt de croyances sexistes ou de comportements contrôlants. Le comportement de contrôle a été conceptualisé comme un continuum allant de la violence physique et de l’intimidation à des abus psychologiques et économiques manifestes, ainsi que des formes plus subtiles de contrôle psychologique telles que « interrompre », « ne pas écouter », proférer la vérité et le “ refus d’affection ”. Dans un premier temps, les chefs de groupe masculins d’Emerge ont révélé leurs propres comportements de contrôle afin de promouvoir la confiance et de donner l’exemple d’un examen critique de soi. Les animateurs de groupe Emerge ont peut-être naïvement cherché à créer une culture alternative de pairs masculins dans laquelle les hommes violents répudieraient les comportements abusifs et compétitifs, développeraient des rôles masculins/féminins moins rigides et développeraient plus d’empathie et de respect pour les femmes. Les membres du groupe ont été encouragés à reconnaître et à exprimer les sentiments autres que la colère à leur partenaire et entre eux. Les hommes ont été invités à reconnaître les façons dont ils attendaient de leur partenaire un soutien émotionnel unilatéral, des services domestiques, des soins aux enfants et du respect de la part de leur partenaire. Enfin, les hommes ont été soutenus et confrontés à l’abandon des comportements de contrôle et à s’efforcer d’atteindre l’égalité dans leurs relations.
Malgré les mérites théoriques du modèle de co-animation masculine, Emerge a constaté que dans la pratique, il était difficile d’évaluer les progrès des hommes lorsque les deux animateurs de groupe étaient des hommes. En effet, les hommes violents ont toujours un comportement différent et plus respectueux envers les hommes qu’envers les femmes. De nombreux hommes qui participaient exceptionnellement bien aux groupes n’affichaient pas les mêmes comportements positifs à l’égard de leurs partenaires. Il y a eu une perception croissante que les attitudes négatives sous-jacentes des hommes violents à l’égard des femmes n’étaient pas reconnues dans le groupe en raison de leurs interactions plus positives avec d’autres hommes. En conséquence, les membres du groupe ainsi que les animateurs de groupe ont eu tendance à surestimer les progrès des hommes. En outre, on s’inquiétait de plus en plus du fait que les animateurs de groupe masculins ne pouvaient pas représenter suffisamment le point de vue des femmes. Malgré les bonnes intentions des coanimateurs masculins, le point de vue des femmes sur les attitudes et les comportements des hommes était remplacé par l’interprétation qu’en faisaient les hommes. Dans de trop nombreux cas, cette interprétation était erronée.
En raison de ces problèmes, Emerge a commencé à expérimenter la coanimation de groupes hommes-femmes à partir de 1987. La découverte la plus immédiate a été que les hommes violents réagissaient très différemment à leurs animatrices. Les hommes étaient beaucoup plus susceptibles d’interrompre, de contester et d’ignorer leurs co-animatrices femmes, même lorsque ces dernières faisaient exactement les mêmes remarques que leurs homologues masculins (Cayouette 1996). Cette réaction différentielle à l’égard des femmes animatrices de groupe était particulièrement prononcée au début du programme. Certains membres du groupe ne pouvaient littéralement pas laisser leurs animatrices de groupe féminines terminer leurs phrases. D’autres évitaient le contact visuel avec les femmes chefs de groupe et adressaient leurs commentaires uniquement au chef de groupe masculin. Dans le pire des cas, certains hommes devenaient extrêmement belliqueux à l’égard d’animatrices de groupe féminines, tandis que d’autres manifestaient un intérêt sexuel pour les femmes animatrices.
L’avantage évident d’avoir des femmes à la tête des groupes était que les attitudes et les comportements réels des hommes violents envers les femmes avaient plus de chances d’être révélés. L’arrivée de femmes à la tête d’Emerge a provoqué un réexamen du rôle des hommes animateurs de groupe et sur les comportements qui devraient être modélisés pour les hommes violents. Alors qu’auparavant, les co-animateurs masculins modélisaient un type d’homme plus sensible, cette modélisation s’est produite dans un cadre dépourvu de femmes. Lorsque les groupes étaient co-animés par un homme et une femme, un modèle très différent a été exigé des animateurs masculins. Les co-animateurs masculins devaient alors montrer comment partager le leadership, résoudre les problèmes, négocier le temps et coopérer avec les femmes. Grâce à cette compréhension, la coanimation hommes-femmes est devenue l’une des pierres angulaires du modèle Emerge. Aujourd’hui, presque tous les groupes sont co-animés par un homme et une femme.
Promouvoir la responsabilité des hommes
En procédant par essais et erreurs, Emerge a cherché à trouver le bon équilibre entre le soutien et la confrontation, afin de motiver au maximum les hommes à abandonner leurs comportements abusifs et à traiter leurs partenaires avec empathie et respect. Il est apparu très tôt que le soutien et l’encouragement seuls ne suffiraient pas à inciter les hommes à abandonner leurs comportements violents. En fait, un soutien et des encouragements, sans confrontation ni conséquences, ne semblaient que renforcer les attentes égocentriques des hommes battus et leurs comportements abusifs, étant donné que la plupart d’entre eux se sentaient déjà en droit d’obtenir un soutien unilatéral et une appréciation de la part de leur partenaire. La création d’un groupe démocratique dans lequel les animateurs de groupe modèlent la divulgation de soi et les formes d’interaction non coercitives a également semblé se retourner contre les participants. Lorsque les animateurs attiraient l’attention sur des « abus en cours », les membres du groupe les accusaient de manière manipulatrice d’être « hypercritiques », « jugeants » ou d’être « contrôlants ».
En fin de compte, il s’est avéré que l’éducation des agresseurs doit s’accompagner de limites et de conséquences cohérentes en cas d’abus continu. Il doit également y avoir des conséquences claires pour d’autres comportements courants tels que le manque d’assiduité, la participation insuffisante ou perturbatrice au groupe, ou le fait de ne pas reconnaître les violences subies. En l’absence de normes cohérentes, il a été constaté que les groupes fonctionnaient au niveau du plus petit dénominateur commun. Au cours des dix premières années d’existence d’Emerge, pratiquement aucun de ses participants n’étaient orientés par le tribunal. En l’absence de sanctions judiciaires, la plupart des hommes violents ne restaient pas dans le programme assez longtemps pour en tirer des bénéfices durables. Si certains ont terminé le programme et ont semblé bien s’en sortir, d’autres n’ont fait que des changements cosmétiques qui semblaient surtout destinés à manipuler leur partenaire pour qu’elle poursuive la relation ou qu’elle cesse tout recours juridique. Actuellement, environ 75 % des clients d’Emerge sont assignés par le tribunal. Environ la moitié environ achève le programme, qui dure au minimum 40 séances. Pour pouvoir suivre le programme, les clients doivent avoir cessé tout comportement violent ou intimidant pendant au moins 20 semaines. Les clients doivent également avoir accepté la responsabilité de la violence passée. L’acceptation de la responsabilité est définie de manière opérationnelle de la façon suivante
Cesser de minimiser la violence ;
Cesser de blâmer votre partenaire pour votre violence ou pour les mesures qu’elle a prises en réponse à votre violence ;
Reconnaître les effets néfastes de votre violence sur votre partenaire et vos enfants.
Environ un quart des clients d’Emerge qui ont participé au minimum de 40 séances, ont fait des progrès insuffisants dans un ou plusieurs des objectifs susmentionnés et, par conséquent, il est recommandé au tribunal d’accorder plus de temps. Comme nous le verrons plus loin, la réponse du tribunal à cette recommandation varie d’un tribunal à l’autre et d’un juge à l’autre.
Outre le fait que les hommes qui participent à Emerge doivent devenir non violents et accepter la responsabilité de leur violence, Emerge exige également des hommes qu’ils reconnaissent leur responsabilité mutuelle dans leur participation au groupe. On attend des hommes qu’ils portent mutuellement des objectifs et des normes plus élevées qui sont spécifiés par le programme. Le soutien à des excuses ou à des niveaux moindres d’abus ne sont pas autorisés. Chaque homme doit établir, avec l’approbation du groupe, des objectifs individuels en rapport avec le programme et avec ses schémas passées et actuels d’abus. La fixation d’objectifs pour chaque membre du groupe est un processus qui se déroule au sein du groupe. Avant d’établir des objectifs individuels au sein du groupe, chaque homme doit faire l’historique de ses relations en décrivant, de façon séquentielle, chacune de ses relations avec les femmes. Cette histoire comprend un compte-rendu détaillé de son comportement abusif à l’égard de ses anciennes partenaires ou de la plus récente. Après avoir entendu cette histoire, les autres membres du groupe sont invités à aider l’individu à établir des objectifs spécifiques à ses abus passés. Voici quelques exemples de ces objectifs :
1 Je vais cesser tout comportement jaloux et possessif à l’égard de Jeanne ;
2 J’écouterai Jeanne ;
3 Je respecterai les opinions de Jeanne ;
4 J’assumerai la même responsabilité pour l’éducation de mes enfants ;
5 Je n’exercerai aucune pression sur Jeanne pour qu’elle renonce à sa plainte ou qu’elle se réconcilie avec moi.
Une fois que les objectifs individuels ont été fixés, ils sont affichés sur le mur de la salle de groupe pendant les séances. Cela permet à chaque membre du groupe d’avoir un point de référence pour les commentaires qu’ils s’adressent les uns aux autres d’une semaine à l’autre. Le retour d’information a pour but d’aider les membres du groupe à reconnaître toute interaction abusive ou contrôlante avec leur partenaire ou leurs enfants et à évaluer dans quelle mesure ils adhèrent aux objectifs qu’ils se sont fixés (Emerge 2000). Dans les groupes, les clients d’Emerge sont tenus d’appeler leur partenaire par son nom plutôt que de dire « ma femme » ou « mon partenaire ». Cela permet de promouvoir une plus grande reconnaissance de leur partenaire en tant que personne et non en tant que possession.
Emerge a constaté que les hommes qui ont recours à la violence conjugale ne se donnent pas systématiquement des commentaires constructifs. Sans ingénierie active de la part du programme, les réactions des hommes battus entre eux sont au mieux superficielles, au pire renforcent les excuses pour les abus. Par conséquent, les attentes en matière de participation active et constructive au groupe sont clairement formulées et appliquées. En outre, les membres du groupe reçoivent continuellement des feedbacks sur la qualité de leurs commentaires aux autres.
Idéalement, ce retour d’information provient des autres membres du groupe ainsi que des responsables du groupe, comme l’illustrent les exemples suivants :
GEORGES : Je l’ai échappé belle l’autre jour. Mary a fait quelque chose de vraiment stupide. Mais ça n’a pas eu de conséquences physiques. Je suppose que le programme fonctionne pour moi.
JIM (ANIMATEUR DE GROUPE) : Peux-tu nous expliquer ce qui s’est passé ?
GEORGES : Mary a crevé un pneu de notre voiture en la conduisant contre le trottoir. Je me suis un peu énervé, mais c’est resté sous contrôle.
JANICE (RESPONSABLE DU GROUPE) : Qu’as-tu fait ?
GEORGES : Rien. Je suis resté silencieux. Elle voyait bien que j’étais en colère.
JANICE : Avant de te taire, as-tu dit quelque chose ?
GEORGES : J’ai peut-être crié un peu. Oui, j’ai peut-être juré un peu. Pas contre elle, juste par frustration.
JIM : Est-ce que quelqu’un dans le groupe a quelque chose à dire à George à ce sujet ?
MARTY : Je comprends ce que tu ressens. Les pneus coûtent cher.
JANICE : Avant de continuer avec Georges, est-ce que quelqu’un a quelque chose à dire à Marty à propos de ce qu’il vient de dire ?
PHIL : Tu lui as vraiment jeté la bouée de sauvetage !
CARL : Oui, je pense que tu as vraiment laissé George s’en sortir. Je veux dire, il est toujours en train de crier et de jurer après elle, n’est-ce pas ?
ANDY : C’était un accident ! Je ne vois pas comment tu peux t’énerver pour un accident.
JIM : Oui, mais avant de revenir sur ce qu’a fait George, restons un peu avec Marty. Permettez-moi de demander au groupe comment, à votre avis, les commentaires de Marty pourraient influencer George ?
ANDY : Oh, George se sentirait plus justifié à l’avenir.
JANICE : Justifié de quoi ?
ANDY : D’avoir crié et de s’être emporté pour rien. Juste une erreur innocente !
CARL : Et de la blâmer.
JIM : Est-ce que George est toujours violent avec Mary ?
PHIL : Oh oui, je dirais que oui.
JIM : Est-ce que Marty s’en est rendu compte ?
MARTY : Peut-être maintenant, mais je voulais juste que George sache que je comprenais ce qu’il avait ressenti.
JANICE : Mais est-ce que Marty aidait George ?
PHIL : Non !
ANDY : Pas du tout !
JIM : As-tu quelque chose à dire à George maintenant, Marty ?
MARTY : Je suis désolé de ne pas t’avoir sauté dessus, mec ! (Rires du groupe)
JANICE : Sérieusement ?
MARTY : Oui, je suppose que je t’ai laissé tomber [George]… en ne m’attendant pas à plus.
Bien que l’analyse des actions de Georges ait fini par revenir au centre de l’attention, les animateurs du groupe se sont d’abord concentrés sur Marty, le nouveau membre du groupe. Un tel retour d’information est essentiel pour aider les membres du groupe à clarifier la façon dont ils peuvent s’entraider au mieux. Lorsque la confrontation vient uniquement des animateurs de groupe, les membres du groupe s’installent dans un rôle passif et ne parviennent pas à intérioriser les valeurs et les normes plus élevées du programme. Dans le cas ci-dessus, la valeur exprimée était l’acceptation et le respect d’une norme plus élevée que le simple fait de s’abstenir de toute violence physique.
Le maintien de normes élevées permet également d’éviter la manipulation et les tergiversations de la part des hommes qui ont recours à la violence conjugale. Ces hommes, tout comme les toxicomanes, tentent souvent de négocier avec d’autres personnes (en particulier leurs partenaires et leurs conseillers) afin de conserver le plus possible leurs abus (Adams 1989). La négociation prend souvent la forme d’un ajustement par l’agresseur de son comportement abusif plutôt que de son complet abandon. En procédant à des ajustements plutôt qu’à des changements plus qualitatifs de comportement et d’attitude, les agresseurs apprennent à devenir de « meilleurs agresseurs ». Les animateurs de groupe sont parfois involontairement complices de cette manipulation lorsqu’ils félicitent les clients qui ont apparemment « fait un pas dans la bonne direction » en se montrant moins violents.
Emerge attend de ses clients qu’ils traitent leurs partenaires et ex-partenaires avec empathie et respect. Le simple fait de s’abstenir d’abus n’est pas nécessairement synonyme d’empathie ou de respect. Selon la définition opérationnelle dans Emerge, l’empathie consiste à reconnaître et à s’intéresser aux sentiments et préoccupations de son partenaire ou ex-partenaire. Le respect signifie reconnaître son indépendance et ses droits, y compris le droit à l’autodétermination. Du point de vue d’Emerge, avoir de l’empathie et du respect pour sa partenaire ou ex-partenaire ne signifie pas que l’agresseur doit aimer sa partenaire ou rester en contact avec elle. En pratique, l’empathie est davantage attendue de la part des hommes qui sont toujours impliqués dans leur relation avec leur partenaire, qu’ils vivent ensemble ou séparément, tout en continuant à co-élever leurs enfants. Les hommes qui ont des contacts plus limités sont censés au minimum traiter leur partenaire avec civilité et respect, quels que soient les désaccords ou les différends. De manière réaliste, le développement de l’empathie et le respect de sa partenaire ou ex-partenaire ne sont pas des conditions requises pour l’achèvement du programme, car les sentiments et les attitudes ne peuvent pas être dictés. Au contraire, l’empathie et le respect sont des objectifs ambitieux qui sont formulés tout au long du programme. En théorie, les clients qui apprennent à respecter les autres, plutôt qu’à les tolérer, semblent les plus susceptibles de maintenir les changements qu’ils ont opérés au cours du programme.
Documentation des abus
Diverses études sur les résultats des programmes d’intervention auprès des agresseurs ont montré qu’en moyenne, environ la moitié des agresseurs terminent les programmes d’intervention (Tolman et Bennett 1990 ; Gondolf 1997). Et même si programme ont un taux de récidive inférieur à celui des personnes qui ne l’ont pas terminé, un grand nombre d’entre elles reviennent à la violence physique et psychologique. Conscient de ces réalités, Emerge considère que sa mission première est la responsabilisation, plutôt que de changer les agresseurs. Si le changement est clairement possible pour certains agresseurs, la responsabilisation est potentiellement réalisable pour tous les agresseurs, indépendamment de leur capacité ou de leur volonté de changer.
C’est pourquoi Emerge attache une grande importance à la documentation de la violence des hommes ainsi qu’à la documentation du non-respect des normes. Pour tous ses clients, qu’ils soient ou non renvoyés par le tribunal, Emerge conserve une documentation écrite sur la violence des hommes ainsi que sur le non-respect des règles. Emerge conserve une documentation écrite sur les comportements abusifs qu’ils reconnaissent, ainsi que des actes de violence signalés par des sources différentes de la victime, tels que les rapports de police, les casiers judiciaires et les dossiers de protection de l’enfance. Il n’est pas rare que les agresseurs désavouent toute violence une fois qu’ils ont achevé un programme d’intervention, au sujet des mêmes violences qu’ils avaient reconnues pendant qu’ils participaient au programme. Le dossier écrit est mis à la disposition de toutes les victimes et aux partenaires qui en font la demande. Les femmes dont le partenaire conteste le divorce, demandent la garde des enfants ou cherchent à obtenir des visites d’enfants plus souples ont trouvé les dossiers d’Emerge très utiles car ces rapports narratifs identifient également tous les problèmes qu’Emerge a identifiés dans le cadre du programme.
Ces rapports narratifs identifient également tout problème identifié par Emerge en termes de niveau de dangerosité, d’acceptation ou de responsabilité de l’agresseur, d’éducation des enfants, d’abus de substances ou de problèmes de santé mentale. Ces rapports sont souvent la seule documentation sur les problèmes de l’agresseur qui soit indépendants des allégations de la victime.
Renforcer la responsabilité
Environ la moitié des clients d’Emerge ne terminent pas le programme. Les raisons les plus courantes de l’arrêt du programme sont les actes de de violence ou de harcèlement, le manque d’assiduité, le faible niveau de participation au programme, le refus d’admettre les abus ou le refus d’en assumer la responsabilité. Comme nous l’avons mentionné plus haut, la réaction des tribunaux à la fin de ces programmes varie considérablement. Les juges qui ont été sensibilisés à la violence domestique ont systématiquement sanctionné les hommes qui ont été renvoyés. Les sanctions les plus courantes sont l’incarcération, l’augmentation de la durée de la probation ou l’obligation pour l’agresseur de se réinscrire en l’avertissant que tout problème supplémentaire entraînera une peine d’emprisonnement. Une étude au moins a montré qu’un suivi judiciaire systématique de la participation des hommes aux programmes d’intervention auprès des agresseurs augmente l’assiduité et la participation, et diminue la récidive (Gondolf 1998).
À l’heure actuelle, la plus grande frustration d’Emerge, ainsi que de nombreux autres programmes d’intervention auprès des agresseurs, c’est que les juges ne sanctionnent pas suffisamment les hommes qui quittent les programmes d’intervention. Aux États-Unis, de nombreux défenseurs des victimes et intervenants auprès des agresseurs ont perçu un retour de bâton de la part des tribunaux en raison de l’augmentation du nombre d’affaires de violence domestique dont les tribunaux sont saisis. Certains juges ont critiqué les programmes d’intervention car une proportion élevée de leurs clients ne les avaient pas terminés. Certains de ces juges ont cessé de se référer à ces programmes et ont commencé à renvoyer la majorité des agresseurs à des programmes plus courts de « gestion de la colère » qui ont tendance à avoir des critères moins stricts pour l’achèvement du programme. La plupart des programmes de gestion de la colère n’entrent pas en contact avec les victimes et fondent leur évaluation des progrès de l’agresseur strictement sur la participation au groupe d’hommes. Pour contrer cette tendance, de nombreux États ont établi des normes de certification pour les programmes d’intervention auprès des agresseurs. En mars 1997, au moins 24 États disposaient de normes de certification et 20 autres étaient en train d’en créer. En règle générale, les normes de certification des États exigent que les programmes d’intervention auprès des agresseurs aient une durée minimale des sessions ainsi que des critères spécifiques pour l’achèvement du programme. Les durées minimales des programmes dans les États disposant de normes de certification varient actuellement de 12 séances en Arizona à 52 en Californie. La majorité des États qui ont spécifié des durées minimales de programme ont exigé au moins 24 à 26 séances (Austin et Dankwort 1997). La majorité des États précisent également que les programmes d’intervention auprès des agresseurs doivent tenter d’entrer en contact avec les victimes, au minimum pour les avertir du danger et les orienter vers des services. Au Massachusetts, les programmes certifiés sont en outre tenus d’informer les victimes des limites des programmes d’intervention auprès des agresseurs et de s’informer sur les antécédents de violence de l’agresseur. Les programmes du Massachusetts, ainsi que dans d’autres États, sont tenus de respecter la confidentialité des victimes. Bien que les normes de certification de l’État aient permis d’améliorer la sécurité et la responsabilité des programmes d’intervention auprès des agresseurs, les juges de la plupart des États ne sont pas obligés de se référer aux programmes certifiés. Dans de nombreux États, les juges ont continué à privilégier les programmes de « gestion de la colère », plus courts et moins contraignants. L’un des résultats malheureux de cette réaction négative de la part des tribunaux est qu’un nombre important de programmes certifiés aux États-Unis ont cessé leurs activités en raison du manque d’orientations par les tribunaux. D’autres programmes certifiés ont abaissé leurs normes afin d’assurer le maintien de la coopération des tribunaux. Pour inverser cette tendance, les défenseurs des victimes et les personnels animant ces programmes d’intervention auprès des agresseurs dans de nombreuses communautés ont forgé des alliances avec les procureurs, les agents de probation, les officiers de police, les membres des médias et les juges progressistes pour demander des sanctions plus fortes et plus cohérentes à l’encontre des agresseurs. Des réponses communautaires coordonnées, mises en place à Duluth, Minnesota et à Quincy, dans le Massachusetts, ont permis d’identifier et de combler les lacunes du système de justice pénale. Le personnel d’Emerge participe à au moins six coalitions municipales, appelées « tables rondes communautaires ». Dans certaines communautés, les projets de surveillance des tribunaux ont permis d’attirer l’attention sur les rejets d’affaires et les sanctions insuffisantes à l’égard des agresseurs (NCJW 1997). Enfin, un nombre croissant d’États ont créé des commissions ou des groupes de travail sur la violence domestique à l’échelle de l’État. Dans le Massachusetts, la Governor’s Commission du gouverneur sur la violence domestique a créé des normes pour les officiers de police, les procureurs, les centres de visite des enfants et les programmes pour les agresseurs.
Conclusion
Depuis la création d’Emerge en 1977, nous avons beaucoup appris sur la manière d’éduquer et de motiver les hommes qui commentent des violences conjugales pour qu’ils assument la responsabilité de leur violence. Malgré cela, la grande majorité des agresseurs ne cherchent pas à obtenir de l’aide à moins qu’on ne le leur ordonne, et même ceux qui le font résistent au changement. Emerge, ainsi que les nombreux autres programmes d’intervention auprès des agresseurs, continuera à peaufiner et à affiner son approche. Cependant, nous devons également reconnaître que les programmes d’intervention auprès des agresseurs sont par nature limités dans leur capacité à changer les agresseurs. Nous sommes encore loin de sanctions sociales et pénales cohérentes et coordonnées contre la violence des hommes à l’égard des femmes, malgré les progrès réalisés. Ces dernières années, les militants de la lutte contre la violence domestique ont dû se battre pour maintenir ces changements, malgré les réactions négatives alimentées en partie par un mouvement de défense des droits de l’homme plus organisé aux États-Unis. Emerge s’est efforcé d’utiliser la crédibilité acquise en travaillant avec les auteurs pour promouvoir la responsabilisation des agresseurs ainsi que la justice et l’autonomisation des victimes. Sans cela, de nombreux hommes continueront à décider que les avantages de la violence envers les femmes l’emportent sur les coûts.
Voir aussi l’article de David ADAMS sur ResearchGate
Dadid ADAMS est docteur en éducation (Ed.D). En 1977, Adams et un groupe d’amis ont fondé Emerge, le premier programme d’éducation aux États-Unis destiné aux auteurs de violences domestiques. « Ce que nous avions en commun, c’est que nous étions des amies de femmes qui avaient mis en place les premiers services d’assistance téléphonique aux femmes battues ou les premiers refuges dans la région de Boston, et qu’elles recevaient des appels d’hommes demandant de l’aide pour eux-mêmes, et que les femmes qui travaillaient pour ces programmes d’aide aux femmes battues ne pensaient pas que c’était leur mission d’aider réellement l’agresseur ».
« Pourquoi n’attendrions-nous pas de la personne à l’origine du problème qu’elle prenne ses responsabilités ? Ces dix hommes, des travailleurs sociaux aux chauffeurs de taxi, ont donc décidé de s’atteler à la tâche et ont créé un programme destiné à aider les hommes qui étaient prêts à admettre qu’ils avaient un problème de violence envers les femmes de leur entourage. « Nous avons adoré l’idée : pourquoi la charge du changement devrait-elle peser sur la victime, perturber sa vie et celle de ses enfants ? Pourquoi n’attendrions-nous pas de la personne à l’origine du problème qu’elle prenne ses responsabilités ? » Dans ce programme de 40 semaines, les hommes assistent à huit cours différents qui comprennent des séances telles que « Qu’est-ce que la violence ? » Adams explique que ces cours aident les hommes à comprendre que même s’ils ne blessent pas physiquement leur partenaire, ils peuvent tout de même commettre une forme de violence domestique. « Notre définition de la violence, c’est tout ce qui fait peur à quelqu’un », explique-t-il. Adams explique que l’objectif à long terme du programme est d’aider les hommes à développer un sens de l’empathie. Il se peut qu’ils n’obtiennent pas le résultat escompté la première fois qu’ils participent au programme, mais les graines du changement et de la compréhension sont plantées.
La psychocriminologie, qui étudie les processus psychologiques sous-jacents aux comportements criminels, a également bénéficié de nombreuses innovations récentes. Voici quelques-unes des plus notables :
Analyse prédictive et évaluation du risque :
Modèles prédictifs basés sur l’IA : Utilisation de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique pour évaluer le risque de récidive chez les délinquants. Ces modèles prennent en compte une multitude de facteurs, y compris les antécédents criminels, les caractéristiques psychologiques et les circonstances sociales.
Évaluation dynamique du risque : Approches qui ajustent continuellement l’évaluation du risque en fonction de nouveaux comportements et de changements dans la situation de vie du délinquant.
Thérapies assistées par la technologie :
Réalité virtuelle (VR) : Utilisée dans le traitement des délinquants pour recréer des scénarios de la vie réelle et les aider à développer des compétences en résolution de problèmes, à gérer leur colère et à pratiquer des comportements sociaux appropriés dans un environnement contrôlé.
Applications de thérapie mobile : Applications de santé mentale qui offrent un accès continu à des techniques thérapeutiques, des exercices de pleine conscience, et des modules de thérapie cognitive et comportementale (TCC).
Neurocriminologie :
Neuroimagerie : Utilisation de techniques d’imagerie cérébrale comme l’IRM fonctionnelle pour étudier les anomalies structurelles et fonctionnelles dans le cerveau des criminels violents ou impulsifs. Ces études aident à comprendre les corrélations entre les structures cérébrales et les comportements criminels.
Électroencéphalographie (EEG) : Utilisée pour surveiller l’activité cérébrale et détecter les schémas associés à l’agressivité ou à l’impulsivité, permettant une intervention préventive plus ciblée.
Thérapies innovantes :
Thérapie par la réalité virtuelle : Simule des situations de vie réelle pour aider les délinquants à apprendre à gérer des situations stressantes sans recourir à des comportements criminels.
Stimulation cérébrale non invasive : Techniques comme la stimulation magnétique transcrânienne (TMS) pour moduler l’activité cérébrale dans les régions associées aux comportements criminels.
Études sur les traits de personnalité et la psychométrie :
Développement de nouvelles échelles psychométriques pour évaluer les traits de personnalité qui peuvent prédire le comportement criminel, tels que l’empathie réduite, l’impulsivité et la tendance à la manipulation.
Analyse factorielle des traits criminogènes : Identification des combinaisons de traits de personnalité et de circonstances qui augmentent le risque de comportement criminel.
Interventions précoces et programmes de prévention :
Programmes de résilience et d’intervention précoce : Visent à identifier et à intervenir auprès des enfants et des adolescents à risque avant qu’ils ne développent des comportements criminels. Ces programmes utilisent souvent des techniques de thérapie cognitivo-comportementale et des approches basées sur la pleine conscience.
Approches communautaires : Incluent la collaboration avec des familles, des écoles et des services sociaux pour créer des environnements de soutien qui réduisent les facteurs de risque criminogènes.
Recherche sur les effets de la victimisation et du trauma :
Études longitudinales sur les effets de la victimisation précoce et du trauma sur le développement de comportements criminels ultérieurs, informant ainsi des interventions thérapeutiques plus adaptées.
Techniques de guérison des traumas : Utilisation de thérapies spécifiques pour traiter les traumas chez les délinquants, aidant ainsi à réduire les comportements criminels liés à des antécédents de victimisation.
Ces innovations montrent comment la psychocriminologie évolue en utilisant des technologies avancées et des approches intégratives pour mieux comprendre, traiter et prévenir le comportement criminel.