Ressources en psychocriminologie, psychologie forensique et criminologie
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Anne Wyvekens (2010) La rétention de sûreté en France : une défense sociale en trompe-l’œil (ou les habits neufs de l’empereur)

Anne Wyvekens, Centre d’études et de recherches de sciences administratives et politiques (CERSA/CNRS-Université Paris 2), Facultés universitaires Saint-Louis

La loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté (et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental) a fait couler beaucoup d’encre. Juristes et psychiatres s’accordent pour y voir un basculement dans la façon dont la loi pénale française envisage les rapports entre délinquance et trouble mental, entre sanction et soin. Les premiers, qu’ils en approuvent ou en déplorent le contenu, évoquent, qui une double révolution en droit pénal français (Pradel, 2008), qui une rupture en politique criminelle (Lazerges, 2008). Les assises mêmes du droit pénal sont en cause, n’hésite pas à affirmer un troisième auteur (Mayaud, 2008). Quant aux psychiatres, ils s’inquiètent d’une confusion extrême entre le soin et la peine et du risque de détourner la psychiatrie publique de sa mission qui est bien celle de soigner les malades mentaux (Senon, Manzanera, 2008).
Punir les malades mentaux ? Soigner les délinquants? Deux professions s’interrogent, s’inquiètent. Sans refaire l’histoire des rapports entre justice (pénale) et psychiatrie, à l’intersection des deux champs, dans celui, interdisciplinaire, de la réflexion criminologique, on voudrait proposer une lecture «transversale» de la loi, en posant la question de savoir si et dans quelle mesure on peut y voir non seulement la «découverte» de la dangerosité mais également la mise en œuvre d’une logique de défense sociale. La législation pénale française n’a jusqu’ici été que modérément influencée par cette doctrine d’inspiration positiviste. Toutefois, ces évolutions récentes, culminant dans la dite loi (25 février 2008), présentent un certain nombre de traits qui y renvoient nettement (I). À l’analyse, la « rupture» évoquée, bien réelle sur le plan des principes, renvoie moins à une politique qu’à une rhétorique dissimulant mal la difficulté de répondre à la question soulevée.

http://halshs.archives-ouvertes.fr/

Jean Danet (2009) Les politiques sécuritaires à la lumière de la doctrine de la défense sociale nouvelle.

Rapprocher les politiques sécuritaires d’aujourd’hui et la politique criminelle de la défense sociale nouvelle ne va pas de soi tant l’humanisme de cette doctrine a été souligné, célébré, loué par tous. Ce n’est pourtant pas par goût de je-ne-sais-quelle provocation que ce rapprochement s’impose, mais pour répondre en partie à la question posée dans ce séminaire. La question explicite de savoir si les politiques sécuritaires du XXIème siècle empruntent ou non à celles qui les ont précédées et notamment à la « défense sociale nouvelle », héritière du courant des années vingt dont elle reprit le nom programmatique. La question est aussi de savoir comment ces doctrines d’hier ont pensé la notion de dangerosité, le risque incertain comme le danger avéré, pour nous aider si possible à mieux déchiffrer notre présent et les usages qu’il fait de l’un et de l’autre. Mais, s’agissant de la défense sociale nouvelle, j’y vois aussi une question implicite. Comment cette doctrine et ses tenants, dont l’humanisme et l’attachement profond aux droits de l’homme ne fait aucun doute, pour personne, a-telle « aménagé » le discours de la défense sociale, lui-même posé en distance d’avec les positivistes du XIXème, à quels risques au regard de ses valeurs, au prix de quels impensés et pour quel résultat ?

http://www.college-de-france.fr/

Marc Ancel (1954) La défense sociale nouvelle

M. Ancel, La défense sociale nou­velle [note bibliographique] Revue internationale de droit comparé Année 1954 Volume 6 Numéro 4 pp. 842-847

L’idée maîtresse de cette conception, telle que nous l’expose M. Ancel, c’est que la peine doit être considérée uniquement comme l’instrument d’une politique criminelle réaliste et efficace au service du bien commun, et qu’à ce titre, il convient de lui assigner pour fonction primordiale la réadaptation sociale du délinquant, seule de nature à concilier la protection de la collectivité avec l’intérêt véritable de l’individu à qui elle restituera sa pleine valeur de personne humaine consciente de sa dignité et de ses responsabilités. Une telle orientation des institutions répressives ne s’oppose pas seulement aux tendances traditionnelles qui, après avoir présidé à l’élaboration de notre Code pénal et dominé l’école classique, commandent encore les réactions plus ou moins réfléchies de l’opinion en présence du crime.

http://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1954_num_6_4_9111

http://www.persee.fr/articleAsPDF/

« Le sentiment, individuel et collectif, de responsabilité constitue une réalité  psychologique et sociale » ANCEL M., La défense sociale nouvelle, 2 e éd., op. cit., p. 226
La défense sociale nouvelle « postule philosophiquement le libre-arbitre mais demeure réservée sur ce problème, extérieur aux données et au  domaine de la politique criminelle appliquée. La politique criminelle d’action sociale que supposent ces doctrines repose largement, sinon sur la notion philosophique de responsabilité (qui échappe au domaine de l’action sociale), du moins sur la reconnaissance, l’utilisation et le développement de ce sentiment inné de la responsabilité que tout homme, y compris le délinquant, possède nécessairement en lui ». Ibid., p. 207.
La responsabilité constitue le « moteur essentiel du processus de resocialisation » Ibid., p. 294. « Le traitement imposé, parce qu’il a pour objet de rendre le délinquant conscient des valeurs et des exigences sociales, est bien d’abord une rééducation de la responsabilité ou, si l’on veut même, une thérapeutique de la liberté ». in ibid., p. 298.

https://www.penal.org/sites/default/files/files/RIDP_1990_1_2.pdf

Dr Daniel ZAGURY (2001) Place et évolution de la fonction de l’expertise psychiatrique
5ème Conférence de consensus de la Fédération Française de Psychiatrie Psychopathologies et traitements actuels des auteurs d’agressions sexuelles)

L’EXPERTISE DE PRÉ-LIBÉRATION CONDITIONNELLE
Si l’expertise psychiatrique diligentée en cours d’instruction est essentiellement rétrospective, centrée sur l’état mental au moment des faits, l’expertise de pré-libération est surtout une expertise prospective [38]: elle ambitionne d’être une évaluation longitudinale à la foi s clinique, psychodynamique et criminologique. Elle est diachronique (la saisie d’un ensemble de  processus après les faits), plus que synchronique (l’état  psychique au temps de l’infraction). On a suffisamment reproché à l’examen psychiatrique d’avoir des prétentions excessives (notamment pronostiques), à l’issue d’un examen unique, photographie à un moment donné, pour ne pas souligner cette spécificité de l’examen de prélibération, qui se rapproche ainsi de la visée de la démarche clinique en situation thérapeutique.  Sa réalisation nécessite la mise à disposition du dossier pénal et des expertises antérieures. Il faudra refuser de faire cette expertise lorsque ces documents ne sont pas transmis à l’expert, car ce défaut ampute sa mission de l’essentiel. Il ne pourrait pas évaluer le cheminement du condamné depuis le début de  l’instruction. L’analyse de l’état dangereux post délictuel repose sur la comparaison de ce qu’il est au temps de l’examen et de ce qu’il était au moment de l’infraction, en reconstruisant les étapes de son parcours. C’est dire que la qualité des premières expertises conditionne dans une large mesure la qualité de l’appréciation clinique ultérieure. L’expert s’attachera à cerner l’incidence respective des facteurs situationnels, contextuels et propres à la personnalité du sujet, qui ont facilité la commission de l’infraction. La  prépondérance du circonstanciel est souvent un élément favorable du pronostic. L’enchaînement des séquences criminelles, une fois analysé à l’aide du dossier pénal, des expertises initiales, des dires du sujet, l’expert évaluera la prise de conscience de l’intéressé : Qu’a-t-il à dire aujourd’hui de son acte, avec le recul ? A-t-il pris la mesure de la gravité des faits commis ? Invoque-t-il de façon projective ou réductrice un facteur extrinsèque ? (« C’est l’alcool… La drogue… Le chômage… Ma femme… La déprime… Le destin… ») Se maintient-il en position de victime de l’acte dont il a été l’auteur ? Entrevoitil la complexité des processus ? Comment se situe-t-il désormais par rapport aux faits commis ? Par quelles étapes est-il passé ? etc. L’expert explorera de façon systématique la position subjective du condamné à l’égard de sa victime : Regrets de façade ou processus plus authentique de culpabilité, de reconnaissance du préjudice qu’il a fait subir ? L’impact du procès, la perception de chacun de ses acteurs sera abordée. L’expert s’attachera à reconstituer les étapes des processus de défense et d’adaptation à la situation carcérale. Un certain degré « d’hibernation », d’isolement, dans la première partie d’une longue peine, avec refus de toute remise en cause n’est pas en soi inquiétante, comme le montre l’expérience des soins en prison. C’est là une attitude fréquente. (suite…)

RETRANSCRIPTION DE L’INTERVIEW D’ANDRE KUHN, ENREGISTREE ET DIFFUSEE SUR PODCASTSCIENCE.FM LE 13 JUILLET 2011.

 André Kuhn, vous êtes Professeur de criminologie et de droit pénal aux Universités de Lausanne et de Neuchâtel (en Suisse). Vous avez une double formation de juriste et de criminologue et vous avez exercé de nombreux métiers : juge d’instruction, directeur scientifique d’un institut de sondages, collaborateur scientifique à l’Office fédéral de la justice, directeur du Centre de formation continue de l’Université de Lausanne. C’est déjà très impressionnant, mais je ne peux pas arrêter là mon énumération : vous avez également été expert scientifique auprès du Conseil de l’Europe (notamment pour élaborer une recommandation visant à diminuer la population carcérale) et expert auprès de l’Institute for Crime Prevention and Control (institut affilié à l’ONU)

http://www.podcastscience.fm/wp-content/uploads/2011/07/45-Les-sciences-criminelles.mp3

Laurent MUCCHIELLI (2004) Les caractéristiques démographiques et sociales des meurtriers et de leurs victimes, Une enquête sur un département de la région parisienne dans les années 1990

Les homicides disent beaucoup sur les fractures des sociétés où ils se produisent. Les dossiers criminels ne contiennent pas seulement des indications sur les circonstances des meurtres; ils informent très largement sur les caractéristiques biographiques des meurtriers, même s’ils sont peu prolixes sur les victimes. À partir d’une étude exhaustive des dossiers criminels jugés dans le département français des Yvelines dans les années 1990, Laurent MUCCHIELLI montre qu’appartenant dans leur quasi totalité aux classes populaires, les meurtriers sont des hommes marqués par de lourds handicaps familiaux, scolaires et sociaux, qui dans leur majorité sont inactifs et n’ont pas de vie conjugale au moment des faits. Les victimes appartiennent aux mêmes catégories sociales mais sont, plus souvent que les meurtriers, de sexe féminin. Certaines histoires de vie, dans lesquelles les individus ont peu reçu dans le passé et n’ont rien à perdre dans le présent, poussent ainsi à accorder moins de prix à la vie des autres aussi bien qu’à la sienne.

http://www.laurent-mucchielli.org/

si le lien est brisé: Article_Population_version_francaise 

Dossier spécial « Récidive sexuelle »

Aujourd’hui encore, persiste un discours assimilant des délinquants sexuels aux figures du «prédateur sexuel» et du «serial killer». Cependant les travaux sur lesquels reposent ces représentations portaient sur un petit nombre de cas extrêmes et extraordinaires: le contraire de la représentativité. Les recherches sur lesquelles s’appuient les articles publiés dans le présent dossier sont d’une toute autre facture; elles visent la rigueur, l’exactitude et la représentativité. C’est animé par ces soucis que Jean Proulx a décidé de lancer au cours des années 1990 une vaste enquête ayant pour but d’étudier systématiquement et le plus complètement possible un échantillon de délinquants sexuels réunis avec le plus grand soin. Ainsi, entre 1995 et 2000, tous les détenus ayant commis une agression sexuelle entrant dans un pénitencier du Québec furent invités à participer à la recherche. Pas moins de 593 individus condamnés à une peine de plus de deux ans d’incarcération acceptèrent. Quelques années plus tard, en 2006-7, Jean Proulx et son équipe relancent les sujets de l’échantillon initial dans le but d’étudier leur récidive et l’éventuel effet du traitement. Sensiblement à la même époque, Karl Hanson entreprenait une série d’études sur la prédiction de la récidive sexuelle à partir de gros échantillons de détenus canadiens et en réalisant des méta-analyses des recherches réalisées dans plusieurs autres pays. Pour informer les lecteurs de la Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique des résultats de ces travaux, nous avons réuni dans ce dossier spécial cinq articles qui répondent à autant de questions.
La première question visait à savoir si les traitements offerts en milieu carcéral aux agresseurs sexuels faisaient baisser leur probabilité de récidive. Plus précisément, Anouck Marchand et Jean Proulx se sont demandés si les agresseurs sexuels qui reconnaissent leurs délits, qui connaissent les stratégies de prévention de la récidive et collaborent au traitement, récidivent moins que les autres. La réponse mise de l’avant est à la fois nuancée et surprenante. La deuxième question est la suivante: Comment les agresseurs sexuels ayant retrouvé la liberté après une incarcération expliquent-ils, pour les uns, pourquoi ils ont récidivé et, pour les autres, pourquoi ils n’ont pas récidivé? C’est dans les discours des premiers intéressés que Catherine Rossi, Maurice Cusson et Jean Proulx ont été chercher la réponse. Le lecteur constatera que les délinquants sexuels interrogés fournissent une version inédite de leur cheminement et de leurs efforts pour éviter de retourner sous les verrous. Ces mêmes sujets n’avaient pas seulement évoqué les raisons pour lesquelles ils avaient, ou non, récidivé, en outre, ils ne s’étaient pas gênés pour dire ce qu’ils pensaient des traitements reçus au pénitencier. L’analyse de leurs propos conduit Rossi, Cusson et Proulx à répondre à une troisième question: Les délinquants sexuels pensent-ils qu’ils ont cessé d’agresser sexuellement à cause du traitement ou pour d’autres raisons ?

http://www.polymedia.ch/htdocs/Files/Criminologie/CR-archives/RICPTS_2009-04.pdf