Camille Lancelevee (Thèse EHESS 2016) « Quand la prison prend soin »
« Comparaison n’est pas raison » rappelle avec justesse Franz Schultheis : la comparaison est en effet chose difficile. Toujours située, elle met en miroir deux réalités résultant d’histoires sociales différentes et suggère que les objets comparés pourraient être les révélateurs d’un illusoire « modèle » national. La comparaison proposée dans cette thèse ne sera pas une comparaison « terme à terme » qui analyserait les situations française et allemande à l’aune de modèles prédéfinis mais une comparaison « méthodologique » : l’éclairage de la situation allemande permettra de mettre à l’épreuve les représentations sociales françaises. Il s’agira de déconstruire le problème social des « prisons asiles » en France. Ma thèse montrera que ce problème social résulte d’une construction sociale pétrie de représentations devenues évidentes, qui s’interposent comme un voile « entre les choses et nous, et qui nous les masque d’autant mieux qu’on le croit plus transparent » (Lenoir). C’est pour lever ce voile que je propose de porter le regard sur l’Allemagne, pays dans lequel la défense sociale s’est matérialisée dès le début du XXème siècle en un dispositif cohérent. La comparaison avec la situation allemande permettra ainsi de mettre en perspective les transformations à l’œuvre en France, qui participent, comme le montrera cette thèse, à produire un dispositif similaire de défense sociale, c’est-à-dire un dispositif qui tente d’allier protection de la société et traitement des individus identifiés comme « dangereux ». Ces transformations seront saisies en un point du système pénal – les prisons de Grünstadt (Allemagne) et de Tourion (France) – où j’étudierai ces tensions constantes entre soigner et punir.
Ces paradoxes se traduisent pour ces différents professionnel·le·s du soin et de la peine en des dilemmes moraux permanents, que les institutions carcérales françaises et allemandes cherchent à résoudre en tentant d’ordonner les pratiques professionnelles autour d’un mode d’intervention sur autrui unique, univoque et uniforme, qui mettrait le traitement au service d’un programme de réhabilitation psycho-criminologique. Au nom de cette ambition, qui s’inscrit dans une recherche d’efficience institutionnelle, il s’agit, en France comme en Allemagne, d’améliorer la coordination des acteurs professionnels et la circulation des informations relatives aux personnes détenues. La comparaison franco-allemande permet ici de réfléchir aux enjeux de l’institutionnalisation du care : en France, l’analyse montre ainsi que la place accordée aux soins psychiatriques a paradoxalement pour effet de freiner la mise en place d’un suivi plus pénitentiaire ; en Allemagne au contraire, le solide ancrage de ce suivi individualisé rend difficile l’instauration de relations de soins dégagée d’un objectif de réhabilitation psycho-criminologique.